La jurisprudence sur les retenues à la source prélevées à l’étranger s’affine : « si la convention n’est pas claire, c’est déductible… »
Le sort fiscal à réserver aux retenues à la source acquittées à l’étranger par des sociétés déficitaires est une question qui alimente un important contentieux. Une décision du Conseil d’État du 7 juin 2017, LVMH, vient préciser les contours de la jurisprudence.
Rappel de la problématique
Les entreprises qui perçoivent des redevances de source étrangère et qui se voient prélever des retenues à la source par l’État étranger peuvent en principe bénéficier du crédit d’impôt accordé par la convention en contrepartie de ces retenues. Mais lorsque le résultat fiscal en France de ces entreprises est déficitaire, le crédit d’impôt conventionnel tombe en non-valeur car il est plafonné en fonction de l’impôt payé sur le résultat. Ces sociétés peuvent-elles prétendre, à titre de « lot de consolation », déduire les retenues à la source et accroître ainsi leur report déficitaire ? Cette question revient régulièrement devant les tribunaux depuis plusieurs années, l’administration soutenant fréquemment que les redevances sont à déclarer en France pour leur montant brut comme si la retenue à la source n’avait pas été acquittée.
Sur le terrain du droit interne, la question ne fait pas débat puisque l’article 39-1 4° du CGI autorise la déduction des impôts à la charge de l’entreprise mis en recouvrement au cours de l’exercice. Mais les stipulations des conventions fiscales conclues par la France peuvent-elle y faire obstacle?
Le Conseil d’État a apporté une réponse de principe par une décision Céline du 12 mars 2014 : la déduction de l’impôt payé à l’étranger n’est possible que pour autant qu’une stipulation conventionnelle ne l’exclut pas expressément. Et, par une lecture stricte des conventions applicables au cas d’espèce (conventions franco italienne et franco japonaise qui prévoient, toutes deux, comme une soixantaine de conventions fiscales en général récentes, que « l’impôt étranger n’est pas déductible du revenu français dans lequel les revenus étrangers sont compris ») a conclu au rejet la déduction. Ainsi, ni le principe de subsidiarité selon lequel une convention ne peut pas par elle-même servir directement de base légale à une décision relative à l’imposition, ni l’interprétation conforme à leur objet des stipulations d’une convention visant à éliminer la double imposition, ne peut faire échec à l’application claire des conventions qui interdisent cette déductibilité.
Au contraire, une société déficitaire peut déduire les retenues à la source supportées à l’étranger lorsque la convention fiscale ne contient aucune disposition faisant explicitement référence à l’impossibilité de déduire l’impôt étranger, ce qui était le cas de la convention franco-grecque en cause dans l’affaire Egis (arrêt de la CAA de Versailles du 18 juillet 2013, contre lequel l’administration ne s’est pas pourvue en cassation). Plusieurs conventions anciennes ont une rédaction similaire à celle de la convention franco-grecque.
Restait un troisième cas à trancher, celui des conventions qui indiquent que les revenus sont imposables en France pour leur montant brut, tout en accordant un crédit d’impôt correspondant au montant de l’impôt prélevé à l’étranger. Ainsi que l’avaient relevé Olivier Fouquet et Philippe Durand dans une étude publiée au Feuillet Rapide 4/2009, cette rédaction est plus équivoque ; de telle conventions allaient-elle basculer du côté « obscur », c’est-à-dire de celui des conventions dont les stipulations réputées « claires » auraient interdit toute déductibilité?
La décision rendue s’agissant des conventions prévoyant l’imposition des revenus étrangers pour leur montant brut
La société Givenchy SA, membre du groupe intégré LVMH, s’était vue remettre en cause la déduction des retenues à la source supportées notamment en Italie, au Japon, mais également en Chine et en Nouvelle-Zélande. L’administration soutenait, en se prévalant de la jurisprudence Céline, que les stipulations des conventions franco-chinoise (dans sa rédaction du 30 mai 1984) et franco-néo-zélandaise faisaient obstacle à cette déduction, tout comme pour les autres conventions en cause (qui l’excluaient expressément). La CAA de Versailles, s’agissant de ces deux conventions, avait donné raison à la société, en relevant que la seule mention du « montant brut » ne permet pas de faire obstacle à la déduction des retenues à la source.
Dans les conclusions rendues sous cet arrêt, le rapporteur public, Mme Emilie Bokdam Tognetti, avait certes relevé que la formulation « imposable pour leur montant brut » était certainement, dans l’esprit, peu différente de celle stipulant la non-déduction de l’impôt étranger. Mais elle avait immédiatement pris soin de relever que la décision Céline ayant pour résultat paradoxal, de traiter plus défavorablement en cas de situation déficitaire, les contribuables percevant des revenus d’un Etat avec lequel la France est liée par une convention fiscale que ceux avec laquelle elle n’a pas conclu une telle convention, les inconvénients de cette jurisprudence lui apparaissaient devoir être strictement cantonnés au cas où il est impossible de retenir une autre interprétation compte tenu de la stipulation claire. Au final, elle a donc suggéré à la Haute Assemblée de considérer que la phrase prévoyant l’imposition de revenus pour leur montant brut ne consacre pas une règle de non-déductibilité de l’impôt qui s’imposerait en toute hypothèse, mais ne porte que sur les modalités de calcul du crédit d’impôt imputable dans le cadre d’une méthode d’élimination de la double imposition par imputation d’un tel crédit.
Il est heureux que le Conseil d’État ait suivi le rapporteur public en décidant que : » les stipulations des conventions fiscales visées, selon lesquelles les revenus provenant de Chine et de Nouvelle-Zélande sont imposables en France pour leur montant brut, n’excluent pas expressément qu’une société résidente de France déduise de son bénéfice imposable d’un exercice la retenue à la source supportée sur des redevances dans ces deux États au cours de ce même exercice dans le cas où cette société ne peut, en raison de sa situation déficitaire, imputer le crédit d’impôt conventionnel correspondant à l’impôt acquitté à l’étranger ».
On peut voir dans cette solution la volonté de contenir les effets « néfastes » d’une jurisprudence qui conduit à aggraver la situation fiscale de contribuables en présence d’une convention fiscale qui exclut expressément la déduction.
Relevons au demeurant que les dispositions de la nouvelle convention signée entre la France et la Chine (qui s’appliquent depuis le 1er janvier 2015) prévoient que l’impôt chinois n’est pas déductible des revenus français, si bien que la solution retenue par le Conseil d’État n’a plus pour la Chine qu’un intérêt historique.
D’autres enseignements
La clarification apportée par le Conseil d’État ne s’arrête pas là. Par voie de pourvoi incident, la société LVMH entendait contester le fait que la jurisprudence Céline ignore l’objet des stipulations conventionnelles alors que le texte d’un traité international, doit en principe être interprété à la lumière de son objet.
Il s’agissait de défendre l’idée que l’interprétation littérale d’un traité international, serait-il clair, ne saurait conduire à retenir une solution différente, pour l’interprétation de stipulations dont l’objet est exactement identique (éliminer la double imposition), selon que ces stipulations mentionnent ou non expressément un principe de non déductibilité. Sans surprise hélas, le Conseil d’Etat écarte ce moyen et persiste dans son analyse selon laquelle les stipulations conventionnelles claires permettent d’écarter une déduction fiscale prévue par le droit interne. L’approche restrictive du principe de subsidiarité est ainsi consacrée de même qu’est confirmé l’inapplicabilité du principe de non-aggravation des conventions fiscales.
La société entendait également se prévaloir, s’agissant de la retenue à la source italienne, de la décision Gist Brocades du 12 mai 2015 par lequel le Conseil d’État avait eu à trancher de la question de savoir si un contribuable ayant sa résidence dans un État membre de l’UE pouvait invoquer à son profit, sur le terrain de la liberté d’établissement et de circulation des capitaux, les stipulations plus favorables d’une convention fiscale conclue par la France avec un autre État membre. Le Conseil d’État avait alors énoncé que le respect du principe de non-discrimination implique que l’octroi d’un avantage qui serait « détachable » du reste de la convention puisse être revendiqué par un résident d’un État membre n’ayant pas la qualité d’État partie à la convention. Ainsi, dans la situation présente, si une convention conclue entre la France et un autre État membre (la Grèce) admet cette déduction, ne s’agirait-il pas d’un avantage « détachable » justifiant son application dans les relations avec d’autres États (comme l’Italie) même lorsque ceux-ci ont conclu une convention prévoyant expressément que l’impôt étranger n’est pas déductible en France ? La CAA de Versailles avait rendu son arrêt quelques mois avant l’intervention de la décision Gist Brocades et avait laconiquement rejeté le moyen en observant que l’argumentation de la société n’aurait pas permis de mettre en évidence un traitement différent apporté à des situations comparables. Le Conseil d’État a refusé de faire droit à l’analyse de la société en validant la motivation de la Cour mais sans se prononcer sur cette argumentation qui n’avait été développée qu’en cassation sans être soumise de manière aussi détaillée au stade de l’appel.
Les règles applicables en la matière semblent désormais pour l’essentiel bien clarifiées, même s’il n’est pas exclu que le débat « rebondisse », à terme, sur un autre terrain : celui de savoir si les crédits d’impôt ne pourront pas être utilisés en paiement de l’IS dont la société redeviendra redevable après retour à une situation bénéficiaire.
Auteur
Jean-René Bénichou, avocat associé en matière de fiscalité directe
La jurisprudence sur les retenues à la source prélevées à l’étranger s’affine :
« si la convention n’est pas claire, c’est déductible… » – Article paru dans le magazine Option Finance le 26 juin 2017