Où en est-on de la question des colonnes montantes ?
Les colonnes montantes sont « les canalisations collectives qui desservent en eau, en gaz, en électricité, chaque étage d’un immeuble et sur lesquelles sont branchées les dérivations individuelles desservant chaque logement »1, qui font partie des branchements électriques collectifs (articles D.342-1 et D.342-2 du Code de l’énergie).
Dans un contexte de vieillissement de ces ouvrages, et donc de travaux de rénovation à effectuer et surtout à financer -le montant des travaux pouvant s’élever à plusieurs milliers d’euros- se pose la question de leur propriété, la charge de leur entretien et de leur rénovation incombant en effet à leur propriétaire. Si la question ne se pose pas pour les colonnes intégrées à des immeubles construits après 1992, la collectivité concédante étant propriétaire des colonnes montantes dont l’entretien est alors à la charge du gestionnaire de réseau, il y a en revanche sujet à débat pour celles intégrées à des immeubles construits avant 1992 puisque dans ce cas le propriétaire de la colonne peut être soit les copropriétaires de l’immeuble, soit la collectivité concédante. Les premiers contentieux sont ainsi nés il y a une dizaine d’années, lorsque les syndicats des copropriétés concernées par les travaux de rénovation ont essayé de faire supporter le coût de la rénovation par le gestionnaire du réseau de distribution, avec plus2 ou moins3 de succès. Les autorités concédantes ont observé jusqu’à présent un silence prudent sur ce sujet.
La question de la propriété des colonnes montantes des immeubles construits avant 1992 est discutée sur le fondement de quatre textes :
- L’article 44 de la loi n°46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz qui renvoyait au pouvoir réglementaire la définition des conditions dans lesquelles les « entrepreneurs qui établiss[ai]ent et mett[ai]ent en location des colonnes montantes et des canalisations collectives d’immeubles » se voyaient appliquer cette loi de nationalisation ;
- le décret n°46-2503 du 8 novembre 1946 relatif aux colonnes montantes d’électricité qui prévoyait, précisément en application de l’article 44 de la loi n°46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz, l’incorporation de ces ouvrages dans le réseau public de distribution d’électricité, tout en réservant une exception pour « ceux de ces ouvrages appartenant au propriétaire de l’immeuble dans lequel ils sont établis, pour lesquels celui-ci ne perçoit ou accepte de ne percevoir, à l’avenir, aucune redevance spéciale ». L’une des difficultés est d’avoir un inventaire des colonnes qui ont été intégrées en 1946 au réseau public de distribution. Pierre Sablière s’est récemment interrogé4 sur le point de savoir si cette intégration dans le réseau public de distribution n’avait concerné que les colonnes montants établies par les fameux « colonnards », c’est-à-dire par les entreprises d’électricité qui installaient et géraient les colonnes montantes pour le compte des propriétaires d’immeubles, ou alors si le terme « entrepreneurs » de la loi de 1944 visait tous ceux qui avaient « entrepris » de mettre en place et de gérer des colonnes montantes d’électricité (propriétaires d’immeuble, sociétés concessionnaires, entreprises spécialisées), « l’exception concernant les propriétaires ne visant que ceux à qui était laissée la possibilité de les conserver à condition de ne plus percevoir de redevances de leurs locataires » ce qui, ajoute Pierre Sablière, « n’était pas a priori leur intérêt puisque conservant, sans limite de durée, la charge de l’entretien et du renouvellement de ces colonnes ». L’alternative est une interprétation audacieuse de la loi, mais qui effectivement était celle du Gouvernement lorsqu’il a soumis le projet de décret pour avis au Conseil d’État ;
- le décret n°55-326 du 29 mars 1955 relatif aux frais de renforcement des colonnes montantes d’électricité dans les immeubles d’habitation collective, adopté sur le fondement de l’article 44 de la loi du 8 avril 1946, qui confirmait la possibilité d’incorporation des colonnes montantes électriques au réseau public de distribution d’électricité sur acceptation des copropriétaires ;
- l’article 15 du modèle de cahier des charges de concession de 1992 qui prévoit une faculté d’abandon des colonnes : « La partie des branchements antérieurement dénommés branchements intérieurs, et notamment les colonnes montantes déjà existantes, qui appartient au(x) propriétaire(s) de l’immeuble continuera à être entretenue et renouvelée par ce(s) dernier(s), à moins qu’il(s) ne fasse(nt) abandon de ses(leurs) droits sur lesdites canalisations au concessionnaire qui devra alors en assurer la maintenance et le renouvellement », aucune condition de fond n’étant prévue pour cet abandon. La doctrine et la jurisprudence sont par ailleurs partagées sur les conséquences de l’exercice du droit d’abandon de colonnes qui ne seraient pas en bon état d’entretien. Plus récemment, l’article 33 de la loi n°2015-992 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a prévu la remise d’un rapport au Parlement par le Gouvernement sur le statut des colonnes montantes dans les immeubles d’habitation, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la loi. Ce rapport a finalement été remis au président du Sénat le 14 avril 20175 mais il n’a pas à ce jour encore été rendu public.
Toujours est-il que si récemment encore, le juge judiciaire exigeait des demandeurs, propriétaires, qu’ils prouvent que la colonne en question ne leur appartenait pas, le 24 janvier 2017, la cour d’appel de Limoges6 s’est prononcé en faveur de l’appartenance des colonnes montantes d’électricité au réseau public de distribution, au motif que les dispositions réglementaires précitées introduisaient une présomption de leur transfert aux concessions de distribution publique d’électricité depuis 1946. Ce faisant, la cour d’appel de Limoges a repris la position adoptée quelques mois plus tôt par la cour d’appel de Versailles7 et qu’appelait de ses vœux le Médiateur de l’énergie8. Ainsi, il semblerait que la tendance jurisprudentielle actuelle, qui s’est confirmée devant le juge administratif en mars 20179 soit d’exiger du gestionnaire de réseau la preuve de l’absence du transfert des colonnes montantes aux concessions de distribution.
Cette présomption d’appartenance des colonnes montantes d’électricité au réseau public de distribution correspond d’ailleurs à la thèse de Pierre Sablière, qu’il s’est astreint à démontrer en analysant les travaux préparatoires du décret n°46-2503 du 8 novembre 1946 relatif aux colonnes montantes d’électricité, et plus particulièrement le dossier de demande d’avis du Conseil d’Etat, et que ne manqueront pas de réutiliser les copropriétaires intéressés. Son analyse a été remise au Médiateur de l’énergie le 20 mars 201710.
Aujourd’hui aucune solution claire ne semble se dégager. Tant que la Cour de cassation n’aura pas pris position sur ce sujet, beaucoup d’incertitudes demeurent. Et ce n’est pas la décision du 15 mai 2017 du Tribunal des conflits11, saisi fin 2016 par la cour administrative d’appel de Douai, de la question de la compétence de la juridiction administrative pour connaître d’un litige visant une délibération par laquelle un office public d’habitat avait fait abandon de ses colonnes montantes, qui les a levées.
Notes
1 Sablière P., Les colonnes montantes d’eau, de gaz et d’électricité, AJDI 2014, p.661.
2 CA Toulouse, 30 mars 2009, n°08/02117, Syndicat des copropriétaires de la résidence Amouroux c/ ERDF ; CA Paris, 4 décembre 2013, n°09/16769, Société Zurich Insurance PLC et a. ; CA Versailles, 29 mars 2016, n°13/08946, Syndicat des copropriétaires de l’immeuble situé à 12 rue de l’Epinette à Saint-Mandé c/ ERDF ; CA Limoges, 24 janvier 2017, n°15/01230, ERDF contre Office public de l’habitat de Limoges Métropole.
3 CA Paris, 15 février 2007, n°05/08426, Syndicat des copropriétaires c/ EDF GDF Services, CA Rouen, 28 mai 2014, n°13/04267, SA ERDF c/ Syndicat des copropriétaires du centre commercial Mesnil Roux à Barentin ; CA Toulouse, 6 octobre 2014, n 13/03936, Syndicat des copropriétaires résidence Porte d’Albi c/ ERDF ; CA Poitiers, 12 décembre 2014, n°13/02563, Syndicats des copropriétaires de la résidence Les Tamaris c/ ERDF ; CA Toulouse, 7 septembre 2015, n°14/05647, Syndicat des copropriétaires de la résidence Galilée c/ ERDF ; CA Toulouse, 5 octobre 2015, n°14/05643, Syndicat des copropriétaires de la résidence Lapujade Bonnefoy ; CA Pau, 13 avril 2016, n°15/00042, Syndicat des copropriétaires de la résidence Bigorre c/ ERDF ; CA Paris, 25 mai 2016, n°14/04415, Syndicat des copropriétaires du 14 rue Roger Morinet c/ ERDF.
5 JORF n°0089 du 14 avril 2017, texte n°152.
6 CA Limoges, 24 janvier 2017, n°15/01230, ERDF c/ Office public de l’habitat de Limoges Métropole.
7 CA Versailles, 29 mars 2016, n°13/08946, Syndicat des copropriétaires de l’immeuble situé à 12 rue de l’Epinette à Saint-Mandé c/ ERDF.
8 Recommandation du Médiateur national de l’énergie n°2014-1090 du 2 septembre 2014.
9 TA Montreuil, 9 mars 2017, n°1510315, Société ENEDIS.
11 T. Confl., 15 mai 2017, n°4079, Enedis c/ Office public de l’habitat de l’Aisne.
Auteur
Aurore-Emmanuelle Rubio, avocat en droit de l’énergie et droit public
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