Concentrations : les engagements ne doivent pas être pris à la légère
Les principes généraux du contrôle des concentrations semblent assez simples : notifier à l’Autorité de la concurrence (ADLC) l’opération envisagée lorsque les seuils de contrôlabilité sont atteints ; ne pas réaliser l’opération avant qu’elle n’ait été autorisée par l’ADLC (interdiction du « gun-jumping ») ; exécuter les engagements qui peuvent assortir une décision d’autorisation.
Mais encore faut-il que ces principes soient scrupuleusement respectés : à défaut de lourdes sanctions sont encourues, telles que le retrait de la décision d’autorisation pour défaut de notification ou l’injonction sous astreinte de respecter les conditions et engagements, ainsi que le prononcé de sanctions pécuniaires conséquentes. L’ADLC se montre particulièrement attentive au respect de ces règles destinées à lui permettre d’assurer un contrôle effectif sur les opérations susceptibles d’entraîner des distorsions de concurrence et n’hésite pas à condamner fermement le non-respect de la procédure d’autorisation – en amont comme en aval – lorsqu’elle estime qu’un rappel à l’ordre est nécessaire.
C’est ainsi que la société Altice s’est vu récemment condamner à deux reprises, à quelques mois d’intervalle seulement, successivement pour gun-jumping et non-respect des engagements auxquels avait été soumis le rachat de SFR par la filiale d’Altice, Numéricâble Group (devenue depuis SFR Group).
En effet, on se souvient que cette prise de contrôle avait déjà fait l’objet d’une sanction de 80 millions d’euros pour des pratiques de gun-jumping, lors d’une décision du 8 novembre 20161. Pour l’Autorité, cette sanction d’une ampleur inédite se justifiait par le renforcement des liens économiques, les échanges d’informations généralisés, l’intervention dans la gestion opérationnelle de la cible et la prise de fonction anticipée de l’encadrement qui avaient été organisés par les parties alors même que l’opération n’était pas encore autorisée.
Cette fois-ci, c’est le non-respect des engagements pris par Altice / SFR Group devant l’ADLC qui est sanctionné (décision n°17-D-04 du 8/3/2017). En effet, si l’Autorité avait autorisé le rachat de SFR, c’était à la condition que Altice / SFR Group continue d’honorer ses engagements en matière de déploiement de la fibre vis-à-vis des Pouvoirs publics et de ses co-investisseurs (principalement Orange et Bouygues Telecom), compte tenu de l’important taux de couverture du réseau câblé en zone très dense dont l’opérateur allait disposer après le rachat. Ainsi, l’accord « Faber » de co-investissement dans la fibre optique en zone très dense, signé entre SFR et Bouygues Telecom, imposait à Altice / SFR Group de poursuivre le déploiement et de garantir le raccordement final aux immeubles (adductions), pour que Bouygues Telecom puisse bénéficier des déploiements qu’il a cofinancés. En vertu de cet accord, Altice / SFR Group s’engageait également à assurer la maintenance du réseau, de manière transparente et non discriminatoire, afin de permettre à Bouygues Telecom de s’appuyer sur un réseau de qualité.
Après plusieurs plaintes de la société Bouygues Télécom, l’Autorité a décidé de se saisir d’office des conditions dans lesquelles Altice / SFR Group assurait le respect de cet accord. Contrairement à ce qui avait été convenu, l’Autorité a pu constater que le rythme des adductions s’était très fortement ralenti dès la réalisation de l’opération de rachat, et n’avait véritablement repris qu’au bout d’un an, générant un retard substantiel. Ce retard s’était, de plus, accompagné d’une dégradation notable des conditions de maintenance du réseau. L’ensemble de ces manquements a, selon l’Autorité, indiscutablement affecté la position concurrentielle de Bouygues Télécom et l’animation de la concurrence sur le secteur du très haut débit.
Estimant que, en raison de sa puissance et de l’importance de ses moyens économiques et juridiques, Altice / SRF Group ne pouvait pas ignorer le caractère contraignant des engagements ni les conséquences de son comportement, l’Autorité a prononcé une sanction de 40 millions d’euros pour non-respect de ses engagements, assortie d’injonctions sous astreintes progressives visant à contraindre l’opérateur à se conformer à ses engagements. Soulignons qu’avec le prononcé de ces injonctions sous astreintes, l’Autorité fait pour la première fois application des moyens supplémentaires conférés par la loi Macron du 6 août 2015 en cas d’inexécution des engagements pris dans le cadre d’une opération de concentration.
Note
1 Voir D. Redon : « Concentrations : attendre impérativement le feu vert ! « , Lettre des Fusions-Acquisitions et et du Private Equity, supplément Option finance du 27 mars 2017.
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