Pas de rupture brutale en cas de suppression d’une exclusivité territoriale en cours de préavis
Un contrat de concession agricole comportant une exclusivité territoriale avait été rompu à l’initiative du concédant moyennant le respect d’un préavis de deux ans. Au bout de six mois de préavis, ce dernier avait supprimé l’exclusivité territoriale précédemment consentie, comme l’y autorisaient les stipulations contractuelles.
Le concessionnaire avait alors invoqué la rupture brutale du contrat, estimant avoir été, de fait, privé d’une partie de son préavis (soit dix-huit mois) par l’effet de cette modification substantielle du contrat en cours de préavis. La suppression de l’exclusivité aurait entraîné, selon lui, une réduction considérable des avantages tarifaires dont il bénéficiait jusqu’alors et ne lui aurait pas laissé le temps suffisant d’organiser correctement et véritablement sa reconversion, alors que le respect du préavis suppose le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures.
Tout en confirmant le caractère suffisant du préavis de deux ans compte tenu de l’ancienneté des relations commerciales, la cour d’appel de Paris rejette le grief de rupture brutale (CA Paris, 7 novembre 2016, n°15/10249). Après avoir rappelé que la finalité du préavis est d’accorder le temps nécessaire au partenaire évincé pour préparer le redéploiement de son activité, organiser sa reconversion et trouver un autre partenaire ou fournisseur équivalent ou une solution de remplacement, elle relève que :
- le contrat prévoyait que le concédant et le concessionnaire ne seraient plus tenus à leur obligation d’exclusivité après les six premiers mois de préavis, le concessionnaire ayant alors le droit de vendre du matériel agricole d’autres marques et le concédant le droit d’implanter d’autres concessionnaires ou distributeurs sur le territoire jusqu’alors concédé ;
- quelques mois après l’expiration de l’exclusivité le concédant avait agréé un nouveau concessionnaire alors que l’ancien concessionnaire exclusif avait de son côté conclu un nouveau contrat de distribution avec une autre société.
La Cour d’appel déduit de ces éléments que l’abandon réciproque de l’exclusivité prévu par le contrat constitue l’aménagement contractuel de l’exécution du préavis en cas de rupture du contrat ; il n’a pas pour effet de déroger aux dispositions impératives de l’article L.442-6 I 5° du Code de commerce et n’est donc pas assimilable à une rupture brutale.
De surcroît elle exclut également, contrairement à ce que soutenait le concessionnaire évincé, que la clause litigieuse acceptée par les parties lors de la signature du contrat ait pu créer un déséquilibre significatif entre les parties dès lors que chacune d’elles en avait tiré bénéfice. En effet, c’est la suppression de l’exclusivité qui avait facilité la reconversion de l’ancien concessionnaire en lui ayant permis de signer un nouveau contrat de distribution en cours de préavis.
Quant à la perte des avantages financiers liés à l’exclusivité, la Cour estime le concessionnaire mal fondé à l’invoquer dès lors qu’il avait signé un nouvel accord de distribution et n’était donc plus concessionnaire exclusif.
Auteur
Elisabeth Flaicher-Maneval, avocat Counsel au sein du département de doctrine juridique, CMS Bureau Francis Lefebvre Paris