Recours abusif au statut d’auto-entrepreneur : gare à la requalification en CDI !
12 avril 2017
À l’heure où le statut des travailleurs des plates-formes collaboratives ne cesse de s’inviter au cœur des débats politiques et sociaux, la Cour de cassation rappelle que la caractérisation d’un lien de subordination dans l’exécution d’une prestation reste le critère primordial qui démontre l’existence d’un contrat de travail.
L’auto-entrepreneur, présumé indépendant
L’auto-entrepreneur, aussi appelé micro-entrepreneur depuis le 1er janvier 2016, est une forme indépendante d’exercice individuel d’une activité commerciale, artisanale ou libérale qui entre pleinement dans le champ de la présomption de non salariat établie par l’article L. 8221-6 du Code du travail.
Cette présomption peut être renversée lorsque que « l’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes [présumées non salariées] fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci ».
C’est précisément sur ce fondement que la Chambre criminelle de la Cour de cassation a, dans un arrêt du 10 janvier 2017 (n°15-86.580), approuvé la requalification en contrat de travail de la relation entre plusieurs auto-entrepreneurs et une entreprise donneuse d’ordre et la condamnation de cette dernière pour dissimulation d’emploi salarié.
Requalification d’une relation commerciale en CDI
Depuis 2015, la Cour de cassation a eu à connaître d’un nombre croissant d’affaires portant sur la requalification de contrat de travailleurs dits indépendants. L’origine de ces contentieux est variée, ces actions pouvant être engagées par l’URSSAF, par le travailleur lui-même, ou encore par l’inspection du travail.
Dans l’arrêt commenté, des inspecteurs de l’URSSAF se sont présentés dans les locaux de la société à la suite à un signalement pour des faits de travail dissimulé et ont constaté à cette occasion la présence de quatre personnes en situation de travail, un stagiaire et trois auto-entrepreneurs.
Pour caractériser l’existence d’un lien de subordination juridique et requalifier les contrats des travailleurs, les juges doivent s’appuyer sur un faisceau d’indices très variés. En l’espèce, ils ont retenu que :
- lors du contrôle, les quatre personnes s’étaient présentées comme des employés de la société, accueillant le public, et non comme des travailleurs indépendants ;
- aucun devis préalable aux travaux effectués n’avait jamais été proposé à la société par les supposés auto-entrepreneurs ;
- les factures émises pour justifier le versement de sommes étaient toutes sous la même forme, quel que soit le prestataire, et comportaient toutes des termes généraux sur les prestations fournies, ainsi qu’une somme forfaitaire identique, quel que soit le prestataire et sa qualification, soit 600 ou 700 euros sans précision sur le travail exact effectué ;
- selon les déclarations des employés, c’est à la demande du gérant qu’ils avaient opté pour ce statut d’auto-entrepreneur alors même qu’ils n’avaient aucun autre donneur d’ordre que la société ;
- les fonctions de ces travailleurs au sein de cette entreprise avaient toujours été identiques depuis leur arrivée, de même que leurs horaires, les quatre personnes se présentant dans l’entreprise à heures fixes, selon les horaires d’ouverture fixées par le gérant.
Ils en ont déduit que l’ensemble de ces éléments permettait d’établir que « le travail accompli au sein de l’entreprise considérée s’effectuait dans des conditions de subordination, une direction par le gérant de la société, selon des horaires établis, avec des tâches répétitives au fil des mois, pour une rémunération constante, ce qui caractérise l’existence d’un contrat de travail mettant à néant la présomption de non salariat rattachée à l’auto-entreprise ». La société avait ainsi sciemment pu s’exonérer du paiement des charges sociales par le fait du transfert du paiement de ces charges aux auto-entrepreneurs. Le délit de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié était donc caractérisé.
De lourdes sanctions envisageables
Les condamnations pénales pour travail dissimulé peuvent être prononcées aussi bien à l’encontre du gérant personne physique que de la société personne morale. Les sanctions peuvent aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, ce montant étant quintuplé s’agissant de la personne morale, soit 225 000 euros (C. trav., art. L. 8224-1). Ces peines peuvent être assorties de peines complémentaires telles que l’affichage ou la diffusion de la décision prononcée, l’exclusion des marchés publics, l’interdiction temporaire ou définitive d’exercer une activité professionnelle ou encore l’interdiction temporaire de percevoir toute aide publique (C. trav., art. L. 8224-3 et L. 8224-5). En l’espèce, les juges ont condamné la société à une amende de 10 000 euros, dont 5 000 avec sursis et le gérant à hauteur de 2 000 euros, dont 1 000 avec sursis.
En outre, le donneur d’ordre qui a fait l’objet d’une condamnation pénale pour travail dissimulé à la suite d’une requalification en contrat de travail est tenu au paiement des cotisations et contributions sociales à la charge des employeurs, calculées sur les sommes versées aux travailleurs au titre de la période pour laquelle la dissimulation d’emploi salarié a été établie (C. trav., art. L. 8221-6, II).
Il doit cependant être rappelé qu’en dehors de toute action pénale, l’URSSAF peut attraire la société devant les juridictions de sécurité sociale afin de réintégrer dans l’assiette des cotisations les sommes versées à des travailleurs recrutés sous un statut d’indépendant (voir par exemple, s’agissant de la requalification des prestations d’un auto-entrepreneur : Cass. 2e civ., 7 juill. 2016, n°15-16.110).
En tout état de cause, le faux indépendant peut saisir le conseil de prud’hommes pour tirer toutes les conséquences civiles de la requalification de son contrat et de son éventuelle rupture : application de la convention collective, rappel d’heures supplémentaires, indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnité forfaitaire pour travail dissimulé égale à 6 mois de salaire (C. trav., art. L. 8223-1), etc.
Ainsi, compte tenu de la forte augmentation constatée du taux de recours à des formes de travail indépendant dans des circonstances parfois très ambigües, ces situations sont surveillées de près par les URSSAF et l’Inspection du travail, et sont aujourd’hui à très haut risque pour les donneurs d’ordre impliqués.
Auteurs
Olivier Dutheillet de Lamothe, avocat associé en droit social.
Louis Paoli, avocat en droit social
Recours abusif au statut d’auto-entrepreneur : gare à la requalification en CDI ! – Article paru dans Les Echos Business le 11 avril 2017
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