Relations franco-indiennes : point sur les évolutions récentes en matière de fiscalité
La France et l’Inde sont liées depuis plusieurs années par un partenariat stratégique dans certains secteurs, et après l’arrivée du gouvernement Modi en 2014 plusieurs avancées de la législation indienne favorables aux investissements étrangers se sont concrétisées.
Le projet de loi de finances pour l’année 2017/2018 en Inde vient d’être annoncé, et il s’accompagne d’une nouvelle vague de réformes. C’est l’occasion de faire le point sur les récentes évolutions qui intéressent les entreprises françaises.
Outre la libéralisation d’importants secteurs d’activité (défense, pharmacie, assurance), quant aux modalités d’investissement étranger et aux plafonds de participation pour les actionnaires étrangers notamment, il faut compter avec l’aboutissement en 2017 de la réforme de la TVA indienne. Cette réforme consiste à remplacer les multiples taxes indirectes prélevées au niveau des Etats fédérés et de l’Etat central par une « good and service tax » unifiée dans tout le pays. Cette réforme aura l’avantage de simplifier les règles et de réduire les taux cumulés de fiscalité indirecte. Elle devrait avoir un impact favorable pour les entreprises présentes en Inde en simplifiant la supply chain et la logistique.
Concernant les flux intragroupe, l’obtention du PAN (Permanent Account Number) n’est plus obligatoire pour obtenir la non application de la retenue à la source de 20 % prévue par le droit interne indien. Les flux concernés sont essentiellement les intérêts, les redevances, et les services techniques. Le budget indien aligne les règles de sous-capitalisation sur les préconisations de l’OCDE dans l’action 4 de son plan BEPS. La déduction des intérêts payés à des entreprises liées est plafonnée à 30 % de l’EBITDA et les prêts visés incluent ceux conclus auprès d’une banque mais garantis y compris de façon implicite par une entreprise liée. La garantie implicite est un concept qui méritera d’être clarifié.
Enfin, un arrêt rendu par la Delhi High Court « Steria » en date du 28 juillet 2016 confirme que la clause de la nation la plus favorisée contenue dans le protocole à la convention entre la France et l’Inde est d’application directe et automatique sans qu’il soit besoin d’un accord formel entre les deux Etats.
Cette clause incluse dans le protocole additionnel à la convention fiscale France/Inde (paragraphe 7) permet à la France de revendiquer l’application de taux de retenue à la source inférieurs ou un champ d’application de la retenue à la source plus restreint que ceux prévus dans la convention lorsque l’Inde a signé des conventions avec d’autres pays membres de l’OCDE prévoyant un taux plus faible ou un champ d’application plus restreint. Elle concerne les retenues à la source applicables aux dividendes, intérêts et redevances/services techniques.
Dans l’affaire Steria, la société se référait à la convention signée par l’Inde et le Royaume Uni, qui contient une définition restreinte des « fees for technical services » qui n’incluent pas les « managerial services » contrairement à l’article de la convention France/Inde. La Haute Cour a jugé que cette définition restreinte doit s’appliquer à la convention fiscale entre la France et l’Inde par l’effet de la clause de la nation la plus favorisée et de façon automatique. Cette décision a un impact significatif puisqu’elle implique qu’aucune retenue à la source ne devrait être prélevée en Inde sur les management fees facturés par une société française. On sait qu’en pratique il est difficile de faire appliquer cette clause de la nation la plus favorisée par les autorités fiscales indiennes, même après un contentieux devant le juge de l’impôt en première instance. L’arrêt de la Haute Cour de Delhi permet donc d’espérer une évolution favorable de la pratique.
D’ailleurs, la doctrine administrative française concernant la convention fiscale conclue entre la France et l’Inde a été mise à jour en novembre 2016 en tirant les conséquences de l’application de la clause de la nation la plus favorisée au vu des nouvelles conventions fiscales signées par l’Inde.
Ce faisant, l’administration fiscale française prend acte, de façon unilatérale, de l’application automatique de la clause de la nation la plus favorisée en considérant que les réductions de taux ou de champ d’application sont d’application automatique et immédiate. Reste à espérer que les autorités indiennes partagent cette approche. En effet, si l’administration fiscale indienne considérait qu’une retenue à la source devait s’appliquer alors que l’administration française estime le contraire, un risque de double imposition se matérialiserait. Les entreprises françaises font généralement face au refus de l’administration française d’accorder un crédit d’impôt ou à défaut une déduction de la retenue à la source prélevée à l’étranger lorsqu’elle a été prélevée en contrariété avec les engagements conventionnels. On observe d’ailleurs une multiplication des contentieux du côté français. Dans ce cas, le recours à la procédure amiable serait la solution pour contester la double imposition mais, selon notre expérience, sans aucune garantie d’aboutir en pratique.Les modifications principales concernent les rémunérations pour services techniques :
La définition des services techniques inclut désormais le concept de « make available » qui implique un transfert de savoir-faire.
Ainsi sont des services techniques les rémunérations de toute nature payées pour des services dans le domaine de la technique ou de la consultation (y compris l’envoi de techniciens ou autre personnel) s’ils répondent à l’une des deux conditions suivantes :
- ils sont accessoires et complémentaires à la jouissance d’un droit ou bien incorporel ou d’un savoir-faire (informations ayant trait à une expérience acquise dans le domaine industriel, commercial ou scientifique) ; ou
- ils rendent disponibles des connaissances techniques, une expérience, une compétence, un savoir-faire, ou un procédé, d’un plan technique qui permet à la personne acquérant le service d’en maîtriser la technologie (transfert de savoir-faire).
Par ailleurs, sont exclus de la définition des rémunérations pour services techniques, celles payées notamment pour des services qui sont accessoires et complémentaires, de même qu’intrinsèquement et essentiellement liés, à la vente de biens et les services rendus dans le cadre d’un chantier.
Enfin, les rémunérations versées pour l’usage ou la concession de l’usage d’un équipement industriel, commercial ou scientifique ne sont plus soumis à la retenue à la source en Inde.
Auteur
Agnès de l’Estoile-Campi, avocat associée en fiscalité internationale et Conseiller du Commerce Extérieur de la France
Bijal Ajinkya, avocat associé, Khaitan & Co Inde