Le Conseil constitutionnel censure le dispositif visant à réguler les prix de gros pratiqués par les fabricants de tabac à l’égard de leurs fournisseurs
L’article 28 de la loi n°2016-1827 du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale pour 2017 a instauré une contribution assise sur le chiffre d’affaires réalisé par les fournisseurs agréés de produits du tabac.
Dans sa version adoptée par l’Assemblée nationale le 5 décembre 2016, l’article 28 contenait un second paragraphe qui avait pour objet d’encadrer les conditions dans lesquelles les fournisseurs agréés pouvaient répercuter le poids économique de la nouvelle contribution à leurs propres fournisseurs, à savoir les fabricants de tabac. Ce paragraphe disposait que « la répercussion de la contribution mentionnée à l’article L.137-27 du Code de la sécurité sociale sur les producteurs auprès desquels un fournisseur agréé de tabacs manufacturés […] s’approvisionne ne peut avoir pour effet, pour des produits du tabac d’un même groupe dont le conditionnement et le prix de vente au détail sont identiques, de conduire à ce que la part nette de ce prix attribuée aux différents producteurs diffère de plus de 5% ».
Ces dispositions, qui avaient pour effet d’encadrer indirectement le prix de gros pratiqué par les fabricants à l’égard de leurs distributeurs, ont été censurées par le Conseil constitutionnel au motif qu’elles portaient une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle des fabricants et des fournisseurs (CC, 22 décembre 2016, n°2016-742 DC).
Afin de mieux appréhender la portée de cette décision, il convient de rappeler qu’en France, le monopole de la vente au détail des tabacs manufacturés est confié à l’Administration qui l’exerce par l’intermédiaire des débitants de tabac désignés comme ses préposés. Le prix de vente au détail des produits du tabac est librement fixé par les fabricants mais il est unique sur tout le territoire et homologué par arrêté ministériel. En contrepartie de la vente au détail des produits du tabac, les débitants sont rémunérés au moyen d’une remise consentie par chaque fournisseur de tabacs manufacturés et calculée sur le prix de vente au détail du produit, dont les taux sont fixés par arrêté ministériel. Or, si la rémunération des buralistes est encadrée par les pouvoirs publics, tel n’est pas le cas de la marge de distribution en gros qui résulte des négociations contractuelles entre chaque fabricant et ses fournisseurs et est pleinement soumise aux règles du marché et de la libre concurrence.
En interdisant un écart de plus de 5% des prix d’achat des fournisseurs auprès des fabricants, le dispositif ainsi voté revenait à restreindre la liberté dont doivent disposer ces opérateurs dans la conduite de leurs relations contractuelles en réglementant indirectement les prix de gros.
Le Conseil a relevé à cet égard qu’« en encadrant la possibilité, pour le redevable de la contribution instituée à l’article L.137-27 du Code de la sécurité sociale, d’en répercuter le coût sur les producteurs de tabac, le législateur a entendu garantir une répercussion homogène de la contribution et éviter des distorsions de compétitivité entre ces producteurs. Il a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général. Toutefois, les dispositions contestées limitent la capacité des fournisseurs de produits du tabac à négocier librement leurs prix avec chacun des producteurs avec lesquels ils sont en relation contractuelle. Il en résulte, compte tenu de l’objectif poursuivi, une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle. Par suite, les dispositions du II de l’article 28 sont contraires à la Constitution ».
Cette décision est d’autant plus intéressante que la censure prononcée par le Conseil constitutionnel est motivée par la violation de la liberté d’entreprendre, dont la liberté contractuelle est le corollaire nécessaire, alors que le juge constitutionnel est le plus souvent amené à juger conformes à la Constitution les limitations apportées par le législateur à ces libertés.
Auteurs
Claire Vannini, avocat associé en droit de la concurrence national et européen
Eleni Moraïtou, avocat en droit de la concurrence national et européen