Evaluation des salariés : une responsabilité stratégique de l’employeur
12 novembre 2013
L’évaluation des salariés occupe une place de plus en plus importante en droit du travail. Cette dimension croissante de l’évaluation s’est accompagnée de précisions récentes sur les droits, obligations et responsabilités de l’employeur.
L’évaluation consiste pour l’employeur à apprécier la valeur professionnelle d’un salarié, au regard de critères donnés, pour lui attribuer une note voire lui affecter un rang.
L’évaluation peut être réalisée par différents procédés tels que des tests, des notations ou des entretiens d’évaluation, ces derniers constituant la pratique la plus répandue au sein des entreprises.
L’évaluation : un enjeu fondamental pour l’entreprise et ses salariés
Pour l’entreprise, l’évaluation est un support essentiel des décisions patronales en matière de politique de rémunération, de promotion, de formation professionnelle, etc. Pour chacun des salariés, l’évaluation est un moyen d’être acteur de son parcours professionnel, en permettant l’expression d’un avis sur sa charge de travail, l’identification de ses axes de progression et/ou ses souhaits d’évolution.
En tout état de cause, elle est un moment d’échange privilégié entre le salarié et l’employeur.
Une évaluation quasi-incontournable pour l’employeur
L’évaluation du travail des salariés constitue un droit pour l’employeur inhérent à son pouvoir de direction né du contrat de travail (Cass. Soc. 10 juillet 2002). Dans ce cadre, le refus réitéré du salarié d’être évalué peut justifier son licenciement pour faute grave, dès lors que le dispositif d’évaluation est régulier.
Au-delà des cas où l’évaluation est expressément imposée par des conventions collectives, il s’avère que l’évaluation du personnel tend à devenir une obligation pour l’employeur, notamment pour :
le respect de son obligation d’adaptation des salariés à leur poste de travail, qui conditionne ses décisions en matière de formation professionnelle voire de licenciement pour motif économique ou insuffisance professionnelle ;
et la justification objective et vérifiable des différences de traitement entre salariés (en particulier en matière de rémunération ou encore de promotion) voire de l’absence de discrimination.
Les conditions de mise en place de l’évaluation par l’employeur
La mise en place du procédé d’évaluation doit faire l’objet d’une consultation préalable du comité d’entreprise, et éventuellement du CHSCT, dès lors que ses modalités sont manifestement de nature à générer une pression psychologique entraînant des répercussions sur les conditions de travail (Cass. Soc. 28 novembre 2007). Dans ce cadre, le CHSCT peut désigner un expert en vue d’apprécier les incidences de l’évaluation sur les conditions de travail et de santé des salariés. Cela étant, il n’existe pas nécessairement de lien entre l’évaluation et la santé des salariés.
Par ailleurs, les salariés doivent être informés individuellement ou collectivement des procédés d’évaluation – préalablement à leur mise en Å“uvre et lors de leur révision.
Enfin, la mise en place d’un procédé d’évaluation doit faire l’objet d’une déclaration préalable à la CNIL si elle implique le traitement automatisé de données personnelles.
Le respect de ces conditions préalables est lourd d’enjeux (risque de suspension ou interdiction du dispositif d’évaluation, délit d’entrave, sanctions pénales, etc.)
Le choix des critères d’évaluation par l’employeur
C’est l’une des principales préoccupations de l’employeur : quels critères retenir en vue d’assurer la fiabilité même de l’évaluation au sein de l’entreprise?
Cette recherche visant à donner sens à l’évaluation apparaît très encadrée.
A cet égard, il convient de veiller à ce que les informations demandées au salarié aient pour seule finalité d’apprécier ses aptitudes professionnelles et qu’elles présentent un lien direct et nécessaire avec l’évaluation de ses aptitudes. De plus, les critères d’évaluation doivent nécessairement être pertinents au regard de la finalité poursuivie.
Ainsi, l’évaluation doit reposer sur des critères adaptés au poste de travail du salarié et objectivement vérifiables. Il peut s’agir notamment de l’animation d’équipe ou encore des qualités de communication du salarié.
En revanche, l’évaluation ne peut être fondée sur des éléments relevant de la vie privée voire sur des critères discriminatoires. De même, il n’est pas possible de retenir des critères subjectifs, tels que par exemple la capacité à « agir avec courage » (CA Toulouse 21 septembre 2011) ou celle d’avoir « une pensée originale » (TGI Nanterre 5 septembre 2008).
Par ailleurs, a été considéré comme illicite le « ranking forcé » consistant à classer les salariés en différentes catégories au regard de quotas prédéfinis et impératifs (Cass. Soc. 27 mars 2013). Un tel système conduit nécessairement à la prise en compte de critères en partie étrangers aux aptitudes professionnelles des salariés, en plus de créer une compétition perpétuelle entre eux générant une pression permanente.
Haro sur l’auto-évaluation du salarié ?
Enfin, il convient de relever la récente remise en cause d’un système d’auto-évaluation par le salarié.
En effet, a été considéré comme illicite un dispositif suivant lequel l’entretien d’évaluation était précédé d’une phase qualifiée d’« auto-évaluation » par les juges. Au cours de cette phase préalable, le salarié était contraint de rédiger une partie de son évaluation, avant que son « manager » réponde par écrit aux points évoqués par le salarié et fasse valider cette réponse par son propre responsable hiérarchique. Selon les juges du fond, cette « auto-évaluation » vide de sa substance l’entretien d’évaluation (TGI Nanterre 12 septembre 2013).
Sans qu’il soit encore possible de mesurer avec précision la portée de cette décision nécessairement factuelle, il apparaît d’emblée que l’entretien d’évaluation ne peut être réduit à un rendez-vous formel, se bornant à entériner l’autoévaluation effectuée par le salarié : l’entretien d’évaluation relève de la responsabilité de l’employeur et de lui-seul.
A propos des auteurs
Nicolas de Sevin, avocat associé. Il intervient tant dans le domaine du conseil que du contentieux collectif. Son expertise contentieuse concerne principalement : les restructurations : transfert des contrats de travail, mise en cause des conventions collectives …,les PSE/PDV, contentieux du licenciement collectif, le droit des comités d’entreprise, les expertises (CE/CHSCT, …), le contentieux électoral, la négociation collective, le droit syndical, l’aménagement du temps de travail (accord 35 heures, récupération, …), les discriminations, le droit pénal du travail : entrave, marchandage, CDD/intérim et les conflits collectifs.
Benoît Masnou, avocat
Article paru dans Les Echos Business du 12 novembre 2013
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