La CJUE et le Conseil d’Etat précisent les pouvoirs du juge national pour maintenir en vigueur des dispositions contraires au droit européen
Par un arrêt C-379/15 du 28 juillet 2016, Association France Nature Environnement, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) fixe les conditions dans lesquelles une juridiction nationale peut, au cas par cas et lorsque le droit interne le permet, limiter dans le temps certains effets de la déclaration d’illégalité d’une disposition du droit national contraire au droit de l’Union. Une telle limitation doit s’imposer pour des considérations impérieuses d’intérêt général et être justifiée par des circonstances particulières. Cette faculté, qui déroge au principe de primauté du droit de l’Union européenne, doit naturellement demeurer exceptionnelle.
La Cour rappelle à cet égard que, aux termes de sa jurisprudence Inter-Environnement Wallonie et Terre wallonne (28 février 2012, C-41/11), quatre conditions cumulatives doivent impérativement être remplies :
- en premier lieu, l’acte national attaqué doit constituer une mesure de transposition correcte d’une directive européenne
- en deuxième lieu, il faut que l’adoption et l’entrée en vigueur d’un nouvel acte national ne permettent pas d’éviter les effets préjudiciables (en l’occurrence sur l’environnement) qui découlent de l’annulation de l’acte attaqué
- en troisième lieu, l’annulation de cet acte doit avoir pour conséquence de créer un vide juridique dans la transposition de ladite directive qui serait préjudiciable à l’intérêt européen (en l’espèce, l’environnement)
- en quatrième lieu, le maintien exceptionnel des effets d’un tel acte national ne doit couvrir que le laps de temps strictement nécessaire à l’adoption des mesures permettant de remédier à l’irrégularité constatée.
A l’occasion de cette affaire, la CJUE a également souligné qu’une juridiction nationale dont les décisions ne sont plus susceptibles de recours juridictionnel est en principe tenue de saisir la Cour à titre préjudiciel, afin que celle-ci puisse apprécier si, exceptionnellement, des dispositions de droit interne jugées contraires au droit de l’Union peuvent être provisoirement maintenues. La juridiction n’est dispensée de cette obligation que lorsqu’elle est convaincue, ce qu’elle doit démontrer de manière circonstanciée, qu’aucun doute raisonnable n’existe quant à l’interprétation et à l’application des conditions permettant le maintien provisoire des dispositions en cause.
En l’espèce, les dispositions du décret français attaqué portant transposition de la directive 2001/42 du 27 juin 2001 fixaient des règles de procédure à caractère général, qui n’avaient pas, par elles-mêmes, d’incidence sur la protection de l’environnement. Le Cour a donc estimé que le Conseil d’Etat ne pouvait, dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre les dispositions de ce décret, maintenir provisoirement en vigueur, eu égard à leur portée, des dispositions jugées contraires au droit de l’Union : le juge national ne pouvait en effet porter, par avance, une appréciation circonstanciée, au regard des conditions énoncées par la Cour, sur les décisions dont la légalité pourrait être contestée en raison de l’annulation du décret litigieux.
La Cour a jugé que ce sera, le cas échéant, aux juridictions administratives devant lesquelles un plan ou un programme pris en application du décret reconnu contraire au droit de l’Union, ou encore un acte pris sur le fondement de l’un de ces plans ou programmes, serait attaqué d’apprécier s’il y a lieu de maintenir provisoirement en vigueur l’acte attaqué et de vérifier, à ce titre, si les conditions posées par la jurisprudence Inter-Environnement Wallonie et Terre wallonne sont remplies. Faisant application de cette décision, le Conseil d’Etat, qui a annulé plusieurs dispositions du décret attaqué, qui n’avaient pas, « par elles-mêmes, d’incidence sur l’environnement », a donc refusé qu’elles soient maintenues temporairement en vigueur (CE, 3 novembre 2016, n°360212, Ass. France Nature Environnement).
Auteurs
Claire Vannini, avocat associé en droit de la concurrence national et européen
Eleni Moraïtou, avocat en droit de la concurrence national et européen