Le contrôle des prix de transfert entre dans l’ère du big data
Les récentes évolutions législatives aboutissent à une multiplication des informations mises à disposition de l’administration fiscale avant et pendant une vérification des prix de transfert ; en outre, ces informations sont de plus en plus régulièrement transmises sous une forme dématérialisée. Les groupes doivent se conformer à ces nouvelles obligations et anticiper des contrôles fiscaux plus précis en la matière.
Entre extension du champ d’application de l’existant (I) et mise en œuvre de nouvelles mesures (II), les groupes doivent –avant toute vérification- communiquer à l’administration fiscale des données relatives à la répartition mondiale de leurs activités et de leurs bénéfices ainsi que sur leur politique de prix de transfert. Par ailleurs, le législateur vient d’offrir un nouvel outil à l’administration fiscale en lui permettant d’auditionner des tiers dans le cadre de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale internationale, et ce indépendamment de toute procédure de contrôle (III). Ces développements vont nécessairement avoir un effet sur le déroulement des vérifications en matière de prix de transfert (IV).
I. Extension du périmètre des entreprises devant transmettre chaque année une déclaration de leur politique de prix de transfert
Jusqu’ici, seules les entreprises appartenant à des grands groupes étaient soumises à l’obligation de produire chaque année une déclaration de leur politique de prix de transfert (article 223 quinquies B du CGI).
L’article 138 de la loi Sapin II1 a étendu le champ d’application de cette obligation déclarative annuelle : le critère financier est abaissé de 400 millions à 50 millions d’euros pour les déclarations au titre des exercices clos à compter du 31 décembre 2016. Désormais, en résumé, les entreprises établies en France dont le chiffre d’affaires annuels hors taxe ou l’actif brut figurant au bilan est supérieur ou égal à 50 millions d’euros ainsi que les entreprises établies en France contrôlant ou contrôlées par une entreprise étrangère dépassant ces seuils devront préparer cette déclaration.
D’après les travaux parlementaires, outre les 1 200 groupes déjà visés, 6 200 groupes supplémentaires seraient concernés2. L’abaissement du seuil financier à partir duquel la déclaration annuelle des prix de transfert devient obligatoire va donc contraindre de nombreuses PME à rassembler les données exigées par le formulaire 2257-SD.
En pratique, les entreprises concernées clôturant au 31 décembre 2016 devront télédéclarer leur formulaire n°2257-SD au plus tard le 3 novembre 2017 (soit 6 mois suivant la date limite de dépôt de la déclaration annuelle des résultats). Notons que le législateur n’a pas modifié la nature des informations à déclarer (informations générales sur le groupe et sur l’entreprise ainsi qu’une déclaration des transactions internationales intragroupe supérieures à 100 000 euros par an).
II. Mise en Å“uvre du dispositif de rapport pays par pays
Nous ne reviendrons pas sur le contenu du rapport pays par pays introduit à l’article 223 quinquies C du CGI que doivent en principe préparer les personnes morales établies en France, établissant des comptes consolidés, détenant des filiales ou succursales étrangères, et réalisant un chiffre d’affaires consolidé au moins égal à 750 millions d’euros, ni sur ses modalités d’application3, ces points ayant déjà fait l’objet de développements dans ces colonnes. En revanche, sur le plan pratique, il convient de signaler la publication par l’administration fiscale du formulaire n°2258-SD permettant de remplir cette obligation applicable aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2016. Ce formulaire doit être souscrit en anglais et par voie électronique dans les 12 mois suivant la clôture de l’exercice (soit, pour la première fois, au cours de l’année 2017).
Par ailleurs, la France a ratifié dernièrement l’accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l’échange de rapports pays par pays4 dont le nombre de signataires s’élève à ce jour à 57 et qui définit les règles et procédures nécessaires pour permettre aux autorités compétentes d’échanger automatiquement les déclarations remises chaque année aux autorités fiscales de l’Etat de résidence de l’entité déclarante.
III. Procédure d’audition des personnes détenant des informations utiles5
Depuis le 31 décembre 2016, lorsqu’elle enquête sur un contribuable, l’administration fiscale peut auditionner des « tiers » susceptibles de fournir des informations sur des manquements relatifs à la fraude et l’évasion fiscale internationale. Si la loi est peu précise sur l’identité des personnes pouvant être auditionnées puisqu’elle mentionne que l’administration peut « entendre toute personne, à l’exception du contribuable concerné », les travaux parlementaires laissent présager une liste étendue, puisqu’ils mentionnent les « clients, fournisseurs, intermédiaires, comptables, salariés, ex-salariés ou même prestataires extérieurs »6.
Cette procédure d’audition, non contraignante, peut être mise en œuvre indépendamment de tout contrôle visant le contribuable. Les manquements entrant dans le champ d’application du dispositif sont expressément listés, parmi lesquels les manquements relatifs aux prix de transfert. Cette procédure pourrait notamment permettre à l’administration fiscale de vérifier l’analyse fonctionnelle fournie par une entreprise.
Sur le plan pratique, la demande d’audition par un agent de l’administration fiscale, dans les locaux de l’administration ou un autre lieu (à l’exclusion du domicile privé de la personne entendue), doit être remise à l’intéressé au moins huit jours avant la date de l’audition proposée, lui préciser l’objet de l’audition et lui indiquer qu’il peut refuser d’être entendu. En outre, la possibilité de se faire assister par un conseil, bien que non mentionnée car l’audition ne concerne pas les agissements de la personne auditionnée, ne semble pas exclue. L’audition fait l’objet d’un procès-verbal signé par l’agent et la personne entendue et consignant les échanges.
Des garanties semblent entourer le dispositif : le tiers sollicité a la possibilité de refuser d’être entendu, et le contribuable peut, sur demande et avant mise en recouvrement, obtenir les éléments issus de l’audition lorsque ceux-ci ont conduit à un redressement (article L 76 B du LPF).
IV. Conséquences sur les vérifications des prix de transfert
Les prix de transfert restent un sujet important de contrôle fiscal en France : en 2014, les services fiscaux auraient effectué des rectifications en la matière à 394 reprises, pour un montant de rehaussements en base de 3,6 milliards d’euros7.
Ces nouvelles dispositions confirment que les groupes doivent établir avec soin leur politique de prix de transfert ainsi que la documentation la justifiant. Les groupes doivent aussi anticiper les vérifications en analysant les informations fournies en amont du contrôle fiscal (par la déclaration de la politique de prix de transfert ou par le rapport pays par pays) et en s’assurant de la cohérence entre ces informations et celles qui seront données pendant le contrôle fiscal (notamment au moyen de la documentation de la politique de prix de transfert)8. Pour les plus grands groupes, désormais, l’administration aura notamment à disposition avant toute vérification :
- une vue d’ensemble de la répartition des chiffres d’affaires, bénéfices, impôts, salariés et des activités par juridiction ;
- une indication des principaux actifs incorporels détenus, notamment brevets, marques, noms commerciaux et savoir-faire, ainsi que l’Etat d’implantation de l’entreprise propriétaire de ces actifs ;
- une description générale de la politique de prix de transfert du groupe ;
- du point de vue des sociétés françaises, un état des principales transactions intragroupe internationales, indiquant leur montant, les Etats d’implantation des entreprises associées et la méthode de prix de transfert utilisée.
Enfin, ces informations étant fournies à l’administration sous un format électronique, les groupes doivent aussi anticiper à terme une automatisation de leur traitement et de leur recoupement.
Notes
1 Loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
2 Avis n°710 (2015-2016) de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances, déposé le 22 juin 2016, p. 322.
3 Décret n°2016-1288 du 29 septembre 2016 modifiant l’article 46 quater-0 YE de l’annexe III du CGI.
4 Loi n°2017-117 du 1er février 2017.
5 Article L10-0 AB du LPF créé par la loi n°2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificatives pour 2016.
6 Rapport n°214 (2016-2017) de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances, déposé le 13 décembre 2016, page 139.
7 Avis n°710 (2015-2016) de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances, déposé le 22 juin 2016, p. 322.
8 Article L 13 AA du LPF.
Auteur
Xavier Daluzeau, avocat associé, spécialisé en fiscalité internationale