Entrée en vigueur du registre des bénéficiaires effectifs : fin de l’anonymat des sociétés
L’article 139 de la loi n°2016-1691, dite « loi Sapin II », du 9 décembre 2016 prévoit une nouvelle obligation mise à la charge des sociétés et autres entités tenues de s’immatriculer au RCS, consistant à identifier leurs bénéficiaires effectifs et à communiquer ces informations au greffe du tribunal de commerce.
Ce texte, dont l’entrée en vigueur est prévue le 1er avril 2017, soulève cependant une difficulté technique. En effet, une ordonnance n°2016-1635 du 1er décembre 2016, qui, comme l’article 139 susmentionné, s’attache à transposer la directive anti-blanchiment n°2015/849 du 20 mai 2015, prévoit la même obligation mais selon des modalités différentes. Les deux dispositions n’étant pas conciliables, il faut sans doute considérer que c’est le texte le plus récent, donc l’article 139, qui a vocation à s’appliquer.
Quelles sont les entités juridiques concernées ?
Sont concernés :
- les sociétés et les groupements d’intérêt économique ayant leur siège en France et jouissant de la personnalité morale ;
- les sociétés commerciales étrangères ayant un établissement en France (ce qui inclut les succursales) ;
- les autres personnes morales tenues à immatriculation auprès du RCS (C. mon. fin., art. L.561-46).
Que faut-il entendre par bénéficiaire effectif ?
Le bénéficiaire effectif s’entend de la personne physique (C. mon. fin, art. L.561-2-2) :
- qui, en dernier ressort, contrôle directement ou indirectement l’entité juridique concernée, soit parce qu’elle en détient directement ou indirectement plus de 25% du capital ou des droits de vote, soit parce qu’elle exerce, par tout autre moyen, un pouvoir de contrôle sur ses organes de gestion ou de direction ou sur ses associés ; ou
- pour le compte de laquelle une opération ou une activité est réalisée par l’entité juridique concernée.
Quelles sont les informations à collecter et selon quelles modalités devront-elles être transmises au RCS ?
Si l’on en sait peu à ce jour quant aux informations à collecter – un décret en Conseil d’Etat, en fixera prochainement la liste – il est d’ores et déjà établi que les sociétés et autres entités concernées devront non seulement obtenir et conserver des informations « exactes et actualisées sur leurs bénéficiaires effectifs », mais également communiquer ces informations au RCS lors de leur immatriculation, puis sur une base régulière afin de les mettre à jour.
Qui aura accès à ces informations ?
Ces informations figureront au registre national du commerce et des sociétés. Parmi celles-ci, certaines seront mises à la disposition du public, d’autres réservées aux autorités compétentes dans les domaines de la lutte contre le financement du terrorisme, la corruption et l’évasion fiscale ou à certains opérateurs tels que notamment ceux du secteur bancaire ou des assurances (C. mon. fin, art. L.561-2). Un décret d’application précisera quelles seront les informations accessibles au public et celles dont l’accès sera plus restreint.
A cet égard, il convient de noter que l’ordonnance prévoit que toute personne justifiant d’un intérêt légitime pourra également avoir accès aux informations figurant sur ce registre, sur autorisation du juge commis à la surveillance du RCS, selon des modalités qui, là encore, seront précisées ultérieurement par décret.
Quelles seront les sanctions encourues en cas de non transmission des informations ?
Cette nouvelle obligation de collecte de données, bien que contraignante, n’en demeure pas moins, a priori, une obligation de moyens, étant toutefois précisé que l’entité juridique concernée devra être en mesure d’établir les efforts raisonnables mis en œuvre pour rechercher lesdits bénéficiaires.
L’article 139 ne prévoit aucune sanction spécifique. Devraient donc être applicables les mécanismes de droit commun en cas de manquement à une obligation de publicité au RCS : à la demande de tout intéressé et du ministère public, le Président du Tribunal de Commerce pourra mettre en œuvre une procédure d’injonction de procéder au dépôt des informations requises concernant le bénéficiaire effectif.
En revanche, l’ordonnance envisage spécialement l’hypothèse d’un manquement avéré à l’obligation de déclaration ou de dépôt d’une déclaration inexacte. Elle énonce que les dirigeants des entités juridiques concernées s’exposeront à une sanction pénale de 6 mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende. Cette peine pourra également être assortie d’interdictions de gérer et d’une mise en Å“uvre de la responsabilité pénale de la personne morale.
La mise en place de ce registre des bénéficiaires effectifs, qui met fin dans une certaine mesure à l’anonymat dont pouvaient bénéficier de nombreuses sociétés, soulève beaucoup de questions auxquelles il ne peut être encore répondu que partiellement. Des clarifications bienvenues devraient être apportées par un décret en Conseil d’Etat à paraître, espérons-le, très prochainement.
Auteur
Emmanuelle Brunel, avocat en droit des sociétés