Le Conseil d’Etat précise le traitement fiscal applicable aux redevances d’exploitation de logiciels
Lorsqu’une entreprise verse des redevances en contrepartie de la concession de droits, elle doit nécessairement s’interroger sur le traitement fiscal qu’il convient de leur réserver. L’administration fiscale est en effet souvent tentée de contester leur déduction fiscale immédiate, en considérant que ces redevances ne sont pas des charges, mais représentent plutôt le coût d’acquisition d’un actif incorporel devant, en conséquence, être immobilisé.
Ce débat récurrent avec l’administration fiscale a donné lieu à une jurisprudence fournie concernant des redevances de concession de brevets ou de licences de marques. Le Conseil d’Etat considère qu’elles ne doivent être immobilisées que si elles sont versées pour l’obtention de droits qui, à la fois, constituent une source régulière de profits, sont dotés d’une pérennité suffisante et sont susceptibles de faire l’objet d’une cession (cf. notamment en ce sens, CE, 21 août 1996, n°154488, SA Sife ; CE, 16 octobre 2009, n°308494, Pfizer Holding France ; CE, 15 juin 2016, n°375446, SARL D Distribution).
Dans une affaire récente, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur le traitement fiscal des redevances d’exploitation de logiciels (CE, 19 juillet 2016, n°368473, B., en sa qualité de liquidateur amiable de la SARL Centre informatique arcachonnais).
En l’espèce, une société exerçant une activité de distribution de logiciels et de services informatiques avait versé des redevances annuelles au titre de l’acquisition des droits d’utilisation et de commercialisation de trois logiciels de comptabilité, de paie et de gestion. L’Administration avait considéré que ces dépenses devaient être immobilisées, et la cour administrative d’appel de Bordeaux lui avait donné raison, au motif que les droits avaient été acquis « en vue d’utiliser lesdits logiciels pour ses besoins propres durant plusieurs exercices ».
Le Conseil d’Etat a cependant considéré que la Cour aurait dû rechercher si les droits litigieux pouvaient faire l’objet d’une cession, dès lors que la société requérante prétendait justement qu’elle ne disposait pas de cette possibilité.
Dans ses conclusions rendues sous cet arrêt, le rapporteur public avait notamment observé que les logiciels figuraient parmi les œuvres de l’esprit protégées par le Code de la propriété intellectuelle et que leurs créateurs se voyaient ainsi reconnaître des droits patrimoniaux comme le droit exclusif d’exploiter le logiciel et d’en tirer un profit pécuniaire.
Les auteurs de logiciels bénéficient ainsi d’un cadre juridique comparable à celui dont disposent les titulaires de brevets ou de marques. Il est donc justifié que le régime fiscal applicable aux droits consentis sur les logiciels repose sur les mêmes critères que ceux retenus pour les droits d’exploitation des brevets ou des marques et, notamment, le critère de cessibilité.
La cour administrative d’appel de Bordeaux, à laquelle l’affaire est renvoyée, devra en conséquence analyser le contrat d’exploitation des logiciels conclu par la société requérante, afin d’apprécier s’il octroie ou non à cette dernière des droits cessibles.
A cet égard, la Cour pourra utilement s’inspirer de l’analyse du rapporteur public, qui précisait que la cessibilité était caractérisée en l’absence de clause faisant obstacle à la cession ou à la sous-concession des droits.
En pratique, il a relevé notamment que les licences d’utilisation de logiciels comportaient dans la plupart des cas des clauses stipulant une « utilisation limitée à des fins personnelles et non commerciales » et que, dans cette hypothèse, les dépenses d’acquisition avaient le caractère de charges par nature. En revanche, l’immobilisation des redevances pourrait se justifier lorsque le propriétaire du logiciel concède des droits autres que de simple utilisation, notamment des droits de commercialisation. Les stipulations du contrat sont alors déterminantes.
Auteur
Nicolas Riou, avocat counsel, droit fiscal.