Droit d’auteur : la loi italienne sur la copie privée à son tour recadrée par la CJUE
À titre introductif et pour mémoire, l’ « exception de copie privée » de l’article L.122-5 2° du Code de la propriété intellectuelle autorise les copies et reproductions d’œuvres protégées par le droit d’auteur (autres que logiciels et bases de données) lorsqu’elles sont réalisées à partir d’une source licite et strictement réservées à l’usage privé du copiste.
Au niveau européen, cette exception est matérialisée par l’article 5 §2 b) de la directive 2001/29 du 22 mai 2001 selon lequel les États peuvent prévoir une exception au droit exclusif de l’auteur lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable.
Par une décision C-110/15 du 22 septembre 2016, la CJUE s’est à nouveau prononcée sur l’interprétation de l’article 5 § 2 b) de la directive 2001/29. Il s’agit du dixième arrêt majeur de la CJUE sur ces notions depuis 2010.
Sur la base de cet article qui impose la mise en place d’une « compensation équitable » en lien avec toute « exception de copie privée » prévue par une loi nationale, la Cour a notamment déjà précisé :
- à propos de la loi espagnole, que la redevance ne pouvait s’appliquer aux supports acquis par des professionnels, pour lesquels une copie d’œuvre à usage privé n’a pas de sens (CJUE, 21 octobre 2010, C-467/08) ;
- à propos de la loi hollandaise, que la redevance pouvait être à la charge des personnes mettant à la disposition de l’utilisateur final des équipements, des appareils ou des supports de reproduction, dès lors que ces personnes avaient la possibilité de répercuter le montant de cette redevance dans le prix de la mise à disposition acquitté par l’utilisateur final (CJUE, 16 juin 2011, C-462/09) ;
- à propos de la loi allemande, que la possibilité de mettre en place des mesures techniques de protection de l’œuvre n’était pas susceptible de rendre caduque l’exigence d’une compensation équitable (CJUE, 27 juin 2013, C-457/11) ;
- à propos de la loi autrichienne, qu’une redevance peut s’appliquer sans distinction à toute première mise en circulation sur son territoire de supports d’enregistrement quel qu’en soit l’usage final, sous réserve que des difficultés pratiques justifient un tel système et de la mise en place d’un droit au remboursement effectif ne rendant pas excessivement difficile la restitution de la redevance payée (CJUE, 11 juillet 2013, C-521/11) ;
- à propos de la loi hollandaise à nouveau, que la compensation ne s’appliquait qu’aux reproductions réalisées à partir de sources licites, les sources contrefaisantes ne pouvant servir de base à une copie privée licite (CJUE, 10 avril 2014, C-435/12) ;
- à propos de la loi danoise, que la simple capacité d’un support à réaliser des reproductions suffisait à justifier l’application de la compensation (CJUE, 5 mars 2015, C-463/12) ;
- à propos de la loi belge, qu’une législation nationale ne peut attribuer une partie de la compensation équitable aux éditeurs des œuvres créées par les auteurs, sans obligation pour ces éditeurs de faire bénéficier, même indirectement, ces auteurs de la partie de la compensation dont ils sont privés (CJUE, 12 novembre 2015, C-572/13) ;
- à propos de la loi espagnole à nouveau, que la directive s’oppose à un système de compensation équitable pour copie privée financé par le budget général de l’État, de telle sorte qu’il n’est pas possible de garantir que le coût de cette compensation équitable est supporté par les utilisateurs de copies privées (CJUE, 9 juin 2016, C-470/14) ;
- à propos de la loi autrichienne à nouveau, que l’action en paiement de la redevance intentée par une société de gestion collective relève de la matière délictuelle, de sorte de la dérogation de l’article 5 point 3 du règlement 44/2001 serait applicable et le tribunal du lieu du fait dommageable compétent (CJUE, 21 avril 2016, C-572/14).
Dans le dernier épisode de l’année 2016, la CJUE a indiqué que la loi italienne subordonnant l’exonération de paiement de la redevance à la conclusion d’un contrat entre les redevables et une entité disposant du monopole légal de représentation des intérêts des auteurs n’était pas conforme à l’article 5 § 2 b) de la directive 2001/29.
En effet, les termes de tels accords étant le résultat d’une négociation de droit privé, un tel système ne garantit pas l’égalité de traitement entre les différentes catégories d’opérateurs économiques commercialisant des biens comparables, en l’absence de disposition généralement applicable ou de critères objectifs et transparents exonérant du paiement de la redevance les producteurs et importateurs démontrant la vente auprès de professionnels.
La Cour conclut également qu’est contraire au texte européen la législation prévoyant que le remboursement d’une redevance indûment payée ne peut être demandé que par l’utilisateur final, compte tenu de l’absence de garanties suffisantes relatives à l’exemption. Prévoir un droit au remboursement au bénéfice du seul utilisateur final n’est en effet possible que sous réserve d’une possibilité d’exonération a priori des redevables fournissant les supports à des personnes à des fins manifestement autres que celle de reproduction pour usage privé.
Quelle sera la prochaine législation examinée par la CJUE ? Affaire à suivre.
Auteurs
Anne-Laure Villedieu, avocat associée en droit de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.
Julie Tamba, avocat en droit de la propriété intellectuelle et droit commercial