La norme AFNOR au crible de la jurisprudence : conditions d’application de la norme AFNOR aux marchés privés de travaux (1ère partie)
La norme AFNOR NF P03-001 est-elle, comme son nom pourrait le laisser penser, une norme qui, comme telle, s’appliquerait automatiquement à tout marché de travaux qui entrerait dans son champ d’application ?
L’étude de la jurisprudence montre qu’il n’en est rien et que cette norme ne régira les relations contractuelles des parties que lorsque celles-ci l’auront voulu.
Ceci dit, l’examen des décisions sur le sujet révèle des situations parfois complexes, notamment d’application partielle de la norme.
La norme AFNOR NF P03-001 ne s’applique pas si elle n’a pas été intégrée par les autres parties dans le champ contractuel
Une illustration de cette solution ressort de l’arrêt de la 3e Chambre civile de la Cour de cassation du 10 décembre 2014 (pourvoi n°13-24798). Dans cette espèce, un sous-traitant dont le sous-traité faisait référence à la norme AFNOR NF P03-001 à la différence du marché principal avait assigné la SCI, maître d’ouvrage, en paiement. Pour rejeter la demande, la Cour d’appel avait retenu que le sous-traitant n’avait pas respecté la norme.
L’arrêt est cassé sans surprise dans la mesure où « la norme AFNOR ne s’appliquait pas à la SCI et que celle-ci n’avait pas de lien contractuel avec le sous-traitant non agréé ».
Une autre illustration de ce principe réside dans l’arrêt du 17 janvier 2013 de la cour d’appel d’Aix-en-Provence (objet du pourvoi rejeté n°13-17042).
En l’espèce, pour réclamer des pénalités de retard, un maître d’ouvrage se prévalait d’un décompte général définitif comportant des pénalités de retard n’ayant pas fait l’objet de contestation dans le délai d’un mois conformément à l’article 19.6.3 de la norme AFNOR NFP 03-001.
La demande est rejeté dès lors « que cette norme, applicable aux marchés privés, ne peut prendre effet comme pièce constitutive du marché que si elle est, soit signée pour acceptation, soit rendue applicable par le cahier des clauses administratives particulières du marché ».
La question se pose de savoir si l’intégration de la norme AFNOR dans le champ contractuel peut être tacite.
Dans un arrêt du 29 septembre 2015 (pourvoi n°14-22661), la 3e Chambre civile a répondu négativement à cette question en jugeant « que le silence gardé sur l’application de la norme NF P 03-001 ne permettait pas de retenir que les parties s’étaient accordées sur l’applicabilité de cette norme au marché ».
Mais, si l’application de la norme doit être expresse, le texte de celle-ci n’a pas pour autant à être remis ou signé pour être applicable. C’est ce qu’a jugé la Cour de cassation dans un arrêt du 16 juin 2009 (pourvoi n°08-16738) rendu à l’encontre de particuliers :
« Attendu que pour débouter la société C de sa demande relative au montant des intérêts de retard, l’arrêt retient que si le marché de travaux fait référence au cahier des clauses administratives générales NF P 03-001, ce document ne peut avoir une valeur contractuelle dès lors qu’il n’a pas été remis aux époux X… et qu’il n’a pas été signé par eux pour acceptation ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le marché de travaux liant les parties fait expressément référence à la norme Afnor P03-001, la cour d’appel a violé… »
La norme AFNOR NF P03-001 s’applique pas si elle a été intégrée par les parties dans le champ contractuel
Inversement, la norme sera applicable chaque fois que les parties l’auront (expressément) intégrée dans le champ contractuel.
C’est ce que rappelle l’arrêt du 25 mars 2014 (pourvoi n°13-24976) qui casse un arrêt de cour d’appel au motif « que l’article 10 du cahier des clauses générales (CCG) mentionnait la norme NF P 03-001 au titre des pièces et documents constituant le marché ».
Idem dans l’arrêt de la 3e chambre civile du 7 septembre 2010 (pourvois n°09-15811 et 09-15893) qui retient que la norme Afnor P03.001 avait été « conventionnellement acceptée par les parties ».
Pour intégrer la norme AFNOR dans le champ contractuel, il suffit de la viser parmi les pièces contractuelles.
Un arrêt (non publié) du 1er juillet 2009 (pourvois n°08-13617 et 08-13634) mérite d’être signalé.
Dans cette espèce, le marché de travaux ne visait pas expressément la norme AFNOR NF P03-001. En revanche, l’article 1.3 du CCAG stipulait que les parties incluaient dans les documents contractuels « les prescriptions techniques générales constituées par le document du REEF du CSTB publiées au jour de la signature du marché ».
Celui à qui était opposée la norme AFNOR prétendait que ces références techniques étaient parfaitement étrangères à la norme NFP 03.001 et qu’en jugeant que l’article 1.3 du CCAG soumettrait les parties à la norme NFP 03.001, en confondant le Cahier des prescriptions techniques générales avec l’intégralité du REEF, lequel rassemble en sa qualité de recueil la quasi-totalité des textes et normes applicables aux constructions de bâtiments, dont la norme NFP 03.001, la Cour d’appel a dénaturé ces documents et violé ainsi l’article 1134 du Code civil.
Le pourvoi a été rejeté, la cour d’appel ayant, selon la Cour de cassation, exactement fait application de la norme NF P03-001.
Une fois intégrée par les parties dans le champ contractuel, comment la norme va-t-elle être appliquée ?
L’application de la norme dépendra en général de l’ordre de préséance des pièces contractuelles comme l’illustre l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier du 11 mai 2010 (RG n°09/3295) qui juge que « le moyen tiré de l’application de la norme AFNOR P 03 001 n’est pas opérant. Les conditions particulières et générales du contrat de sous-traitance en date du 31 mai 2006 sont en effet muettes sur l’existence de ce plafond. Or, l’ordre de préséance des pièces contractuelles donne la priorité aux documents particuliers, qu’il s’agisse des conditions particulières ou générales du contrat de sous-traitance, sur les documents généraux, tel le CCAG ».
Cette question de préséance des pièces écrites est abordée de façon claire dans l’arrêt du 1er juillet 2009 (pourvoin°08-16724, publié au Bulletin) de la 3e chambre civile qui exclut ainsi l’application de la norme :
Mais attendu qu’ayant relevé que le contrat de sous-traitance stipulait un ordre de priorité entre les documents formant le marché et que ce contrat, placé en première position […], la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche sur la contradiction des documents du marché que ses constatations rendaient inopérante […] » a pu retenir que la norme ne s’appliquait pas.
Peu importe donc l’éventuelle contradiction entre les dispositions du contrat (de rang supérieur) et la norme (de rang inférieur), la préséance des pièces écrites exclut en l’espèce l’application de la norme.
L’application de la norme va encore dépendre de la volonté des parties de lui faire régir tout ou seulement partie des relations contractuelles.
Fréquemment les documents contractuels particuliers ne régissent pas toutes les situations du chantier ; dans ce cas, les tribunaux appliquent la norme pour pallier l’insuffisance des stipulations contractuelles particulières.
L’arrêt du 25 juin 2013 (pourvoi: 11-28193) illustre parfaitement ce caractère supplétif de la norme :
« Attendu qu’ayant relevé que le CCAP s’interrompait à la phase de contestation par l’entreprise du projet de décompte général […] ; que le CCAP, qui s’abstenait de déterminer l’incidence de la contestation par l’entreprise du décompte définitif sur la procédure conventionnelle d’apurement des comptes, ne contenait aucune stipulation qui soit contraire ou même seulement incompatible avec l’article 19-6-4 de la norme NFP 03-001 valant CCAG, et retenu à bon droit que le CCAG conservait, par conséquent, sa valeur supplétive, […] ».
Idem pour l’arrêt du 6 septembre 2011 (pourvoi: 10-24325) :
« Attendu qu’ayant relevé que si la norme AFNOR NFP 03001 venait, dans l’ordre de préséance des documents contractuels tel que fixé au CCAP, après les autres documents contractuels, il n’en demeurait pas moins que, s’agissant des effets d’une interruption de chantier supérieure à 6 mois, il n’était justifié d’aucune clause contractuelle prévalant sur la norme, de sorte que l’article 22.1.3 invoqué était seul applicable […] ».
Dans d’autres cas, les parties choisissent de fixer expressément et limitativement les domaines du contrat que la norme aura à régir.
Un exemple de ce choix ressort de l’arrêt de la 3e Chambre civile du 16 novembre 2010 (pourvoi n°09-71168) :
« Attendu qu’ayant relevé que le Cahier des Clauses Administratives Particulières ne faisait référence à la norme NF P 03-001 que pour les obligations de l’entreprise dans la gestion du compte prorata et la fixation du prix de travaux, la cour d’appel en a souverainement déduit que la société R n’était pas fondée à réclamer l’application d’intérêts au taux légal majoré de sept points à compter de la mise en demeure, telle que prévue par la norme précitée ».
L’arrêt du 25 septembre 2013 (pourvoi n°12-22078) en constitue un autre exemple; il casse un arrêt de cour d‘appel aux motifs que « en statuant ainsi, alors que l’article 2.216 du cahier des clauses générales stipulait que la norme NF P 03.001 s’appliquait uniquement pour les matières non traitées dans le présent cahier des clauses générales et que l’article 33 traitait du « Mémoire et décompte définitifs » de sorte que cette norme était inapplicable aux « Mémoire et décompte définitifs ».
Enfin, le fait de prévoir que la norme s’applique ou ne s’applique pas à certaines situations dans des termes insuffisamment précis peut conduire à certaines incertitudes que les parties avaient précisément pour objectif d’éviter.
Deux arrêts (3 décembre 2008 (pourvoi n°07-19495) et 22 mai 2012 (pourvoi n°10-21487)) illustrant cette situation méritent d’être signalés en matière de plafonnement des pénalités de retard.
Dans ces deux décisions, les parties avaient voulu déroger à la norme sur les pénalités de retard ; mais elles ne l’avaient pas fait totalement, notamment en prévoyant que les dispositions non modifiées de la norme s’appliqueraient de plein droit.
Cette rédaction a conduit les plus Hauts juges à considérer que le plafond de pénalités de retard prévu par la norme mais non expressément modifié ou supprimé par les dispositions particulières du marché devait s’appliquer.
Un soin tout particulier doit donc être apporté à la rédaction des pièces écrites de façon à éviter tout risque d’appréciation contraire à l’intention des parties.
Auteur
Jean-Guillaume Monin, Avocat associé, CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon, spécialiste en Droit immobilier, Qualification spécifique en Droit de la construction