Bilan 2016 des droits de succession
L’année 2016 ne bouleverse pas la fiscalité successorale mais elle est malgré tout une année porteuse de quelques décisions notables globalement favorables aux contribuables face à de possibles prétentions de l’administration fiscale.
Ainsi, en matière de déduction de passif successoral, le 24 mai 2016 la chambre commerciale de la Cour de cassation confirme la déductibilité de la dette de quasi-usufruit provenant de la distribution de réserves d’une société dont les titres sont démembrés. La solution a cependant été troublée par un arrêt peu lisible de la chambre civile de la même juridiction rendu un mois plus tard (I).
Toujours en matière de démembrement de propriété, on notera deux arrêts de Cour d’appel favorables à l’établissement de la preuve contraire à la présomption de fictivité de l’article 751 du Code général des impôts (CGI) (II).
En matière d’assurance sur la vie, deux réponses ministérielles Ciot et Malhuret confortent le recours à l’assurance vie comme outil d’anticipation successorale en vue de la protection de ses proches dans un cadre fiscal sécurisé (III).
Egalement favorable, on notera la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel en matière de rappel fiscal des donations (IV).
Année presque blanche sur le mécanisme Dutreil en faveur des transmissions d’entreprises, la réponse ministérielle Féron marque les réticences de l’administration à étendre le champ du « réputé acquis » (V).
I. Déduction de la dette de restitution du quasi-usufruitier à son décès
Sur l’existence d’une dette de quasi-usufruit en cas de distribution de réserves dans une société dont les droits sociaux sont démembrés
Par un arrêt du 24 mai 2016, confirmant un arrêt du 27 mai 2015, la Cour de cassation a décidé qu’en cas de distribution de réserves, le droit de jouissance de l’usufruitier des droits sociaux s’exerce, sauf convention contraire, entre celui-ci et le nu-propriétaire sous la forme d’un quasi-usufruit sur le produit de la distribution revenant aux parts sociales grevées d’usufruit. La Haute juridiction en déduit que l’usufruitier se trouve tenu, en application de l’article 587 du Code civil, d’une dette de restitution exigible aux termes de l’usufruit et qui, prenant sa source dans la loi, est déductible de l’assiette de l’ISF jusqu’à la survenance de ce terme.
Rendu en matière d’ISF, l’arrêt du 24 mai 2016 confirme celui du 27 mai 2015, rendu en matière de droits de succession. Aux termes de ce dernier, il était possible de déduire la dette de quasi-usufruit de la succession du quasi-usufruitier en se fondant sur l’origine légale de la dette de restitution. S’agissant d’un usufruit légal, il n’est pas nécessaire mais cependant conseillé, de conclure entre quasi-usufruitier et quasi-nu-propriétaire une convention de quasi-usufruit et de la soumettre à enregistrement.
Un arrêt de la première Chambre civile de la Cour de cassation du 22 juin 2016 est cependant venu troubler la question du sort de réserves distribuées en indiquant que les bénéfices mis en réserves reviennent au nu-propriétaire. Malgré les apparences, nous considérons que ces décisions ne sont pas en opposition car le fait que l’arrêt rendu par la première chambre civile ne fasse pas mention du quasi-usufruit peut s’expliquer par les limites du pourvoi et par les faits à l’origine de la décision. En effet, il s’agissait de savoir si les fonds provenant de la distribution de réserves entraient dans une indivision successorale avec un conjoint survivant usufruitier et des enfants nus–propriétaires. La Cour de cassation, en qualifiant les fonds distribués d’ « accroissement de l’actif social », c’est-à -dire de « produits » et non de « fruits », et en décidant qu’ils devaient figurer à l’actif de l’indivision successorale, reconnait implicitement les droits du conjoint survivant sur ces fonds. Il n’en reste pas moins que la doctrine est actuellement partagée sur l’interprétation de cet arrêt.
Le remploi des fonds détenus par la quasi-usufruitière dans un contrat d’assurance-vie souscrit au profit de son fils n’éteint pas sa dette de restitution
Par un arrêt du 12 mai 2016, la Cour d’appel de Douai décide que le choix de la manière dont l’usufruitier utilise les fonds dont il a la disposition est indifférent au principe même de la dette de restitution. Au cas particulier, il s’agissait d’une veuve usufruitière qui avait souscrit des contrats d’assurance-vie au bénéfice de son fils avec les fonds de la succession de son époux. L’administration fiscale tentait de faire valoir que cette souscription constituait un moyen de paiement de la dette de restitution qui était dès lors éteinte et ne pouvait pas être admise au passif de la succession de la veuve. Ses prétentions sont écartées par la Cour qui juge que la désignation de son héritier comme bénéficiaire des contrats ne constitue pas un moyen de paiement anticipé de la dette de l’usufruitier.
II. Admission de la preuve contraire à la présomption fiscale de l’article 751 CGI
Deux décisions de Cour d’appel admettent que le contribuable apporte la preuve contraire à la présomption de l’article 751 du CGI, texte sur lequel se fonde l’administration pour réintégrer dans la succession de l’usufruitier les biens réputés démembrés fictivement.
Dans une première espèce, les juges considèrent que le démembrement de la propriété des parts sociales d’une SCI détenue à 50/50 par des concubins ayant un enfant commun n’est pas fictif car il permet à l’associé survivant de bénéficier de l’usufruit sur la totalité des parts de la société. Ils valident ainsi, sur le terrain de l’article 751, la technique des « démembrements croisés » de parts sociales, sachant qu’au cas particulier, le financement de l’acquisition des parts sociales par le concubin prédécédé n’était pas contesté (CA Reims 7 juin 2016).
Dans une seconde espèce, les juges décident que l’administration ne peut soutenir, sans se contredire, que la vente de la nue-propriété était fictive tout en procédant au recouvrement de l’impôt sur le revenu sur la rente perçue en paiement du prix (CA Rennes, 18 octobre 2016).
III. Deux réponses ministérielles favorables en matière d’assurance-vie
- La réponse Ciot du 23 février 2016, intégrée au Bofip abroge la réponse Bacquet. Au décès du premier époux commun en biens, les successeurs, n’ont désormais pas à payer de droits de succession sur le contrat d’assurance-vie souscrit par le conjoint survivant et par hypothèse non dénoué1. La solution est importante pour les époux qui souscrivent des contrats d’assurance-vie à l’aide de fonds communs.
- La réponse Malhuret du 22 septembre 2016 conforte la neutralité fiscale des clauses à options. Ces clauses permettent au bénéficiaire désigné en premier de choisir entre plusieurs options, par exemple 100%, 75% ou 50% du capital assuré, le reste étant recueilli par les bénéficiaires désignés en second. Elles sont intéressantes puisqu’elles permettent d’adapter la répartition du capital assuré entre les différents bénéficiaires en fonction de leurs besoins au décès de l’assuré. La réponse confirme que les droits de succession dus au titre de l’article 757 B du CGI sont liquidés en fonction du lien de parenté existant entre l’assuré et le second bénéficiaire. Il n’existe dès lors pas de donation indirecte entre le premier et le second bénéficiaire.
IV. Rappel fiscal des donations et réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel
Le rappel fiscal vise la prise en compte, pour le calcul des droits de donation/succession, des donations consenties par le donateur ou le défunt au cours des quinze dernières années. Le mode de calcul du rappel fiscal était discuté. Dans une décision du 9 décembre 2016, le Conseil constitutionnel a émis une réserve d’interprétation validant la méthode figurant dans la doctrine administrative, qui consiste à déterminer le montant des abattements et tranches du barème progressif déjà utilisés à l’occasion des donations soumises à rappel fiscal puis à appliquer le reliquat d’abattement et de tranches aux biens nouvellement transmis.
V. Peu de nouveautés sur le régime de faveur Dutreil transmission (art. 787 B CGI)
L’exonération « Dutreil » de 75% pour les transmissions à titre gratuit d’entreprises implique en principe la conclusion d’un pacte « Dutreil ». Sous certaines conditions, le pacte n’a pas à être signé car il est « réputé acquis ». Lors d’une augmentation de capital par incorporation de réserves, les titres émis sont présumés être inclus dans un pacte « Dutreil » déjà existant. Ils profitent ainsi de l’antériorité du pacte et peuvent être transmis immédiatement sous le régime de faveur « Dutreil ». En revanche, dans une réponse ministérielle Féron du 2 août 2016, l’administration a précisé qu’en l’absence de pacte, pour bénéficier du « réputé acquis », les titres issus de l’augmentation de capital doivent être détenus pendant au moins deux ans. Le « réputé acquis » ne permet donc pas de les transmettre immédiatement sous le régime de faveur.
Par ailleurs, l’exonération « Dutreil » est applicable aux transmissions de holdings animatrices. Dans une réponse Frassa du 1er décembre 2016, l’administration a notamment rappelé que la preuve de l’activité de holding animatrice doit résulter d’un faisceau d’indices, permettant d’établir la mmatérialité et l’effectivité du rôle animateur.
Note
1 S. Lerond et G. Dumont, « Assurance-vie : Assurance-vie : la réponse Bacquet appartient au passé la réponse Bacquet appartient au passé », Feuillet rapide 12/2016 paru le 10 mars 2016.
Auteurs
Sylvie Lerond, avocat Counsel, Responsable du service Droit du Patrimoine.
Grégory Dumont, avocat en Droit du patrimoine