Loi Sapin II : des dispositions « fiscales » peuvent être passées inaperçues
Parmi les 169 articles que comporte la loi dite « Sapin II », ou loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, plusieurs concernent la fiscalité.
Le 8 novembre 2016, l’Assemblée nationale a adopté en lecture définitive le projet de loi dit « Sapin II ».
Exactement un mois plus tard, le Conseil constitutionnel a invalidé plusieurs articles de cette loi, notamment l’obligation de reporting public pays-par-pays qui devait peser sur les sociétés, dans une décision n°2016-741 DC.
Il est temps de rappeler les possibles apports, pour la pratique fiscale, de ce texte qui a été publié au JO du 10 décembre, et porte la date du 9 décembre et le n°2016-1691. Les dispositions votées dans cette loi Sapin II s’appliquent, sauf précision contraire, dès le lendemain de sa publication au Journal officiel
Volet pénal-fiscal
La loi prévoit (art. 22) une nouvelle procédure de transaction pénale pour certaines infractions comme le blanchiment de fraude fiscale, qui n’est toutefois pas ouverte en cas de fraude fiscale à proprement parler. Destinée aux sociétés, elle pourra leur permettre d’éviter la mise en mouvement des poursuites pénales en acceptant, sur proposition du Procureur de la République, de conclure, sans reconnaissance de culpabilité, une convention qui prévoit le paiement d’une amende d’intérêt public et/ou la soumission à un programme de mise en conformité sous le contrôle de l’Agence française anti-corruption. Cette convention devra être validée par le président du TGI. Les modalités d’application de cette réforme de la loi Sapin II seront fixées par décret en Conseil d’Etat.
Relations avec les Etats et territoires non coopératifs (ETNC)
La loi prévoit (art. 57) que les aggravations fiscales visant les relations avec les États ou territoires non coopératifs inscrits sur la liste des ETNC s’appliquent désormais, pour ceux qui sont ajoutés à la liste des ETNC, non plus à compter du 1er janvier suivant l’arrêté qui les ajoute, mais à compter du premier jour du troisième mois qui suit sa publication. Elles cessent de s’appliquer à la date de publication de l’arrêté qui les retire de la liste. Le Conseil constitutionnel a censuré au nom du principe de séparation des pouvoirs l’obligation pour le Gouvernement de consulter la commission des finances de chaque assemblée parlementaire avant de publier les arrêtés ministériels.
Déclaration annuelle des prix de transfert
L’article 138 de la loi étend le champ d’application de l’obligation déclarative dite simplifiée, qui figure à l’article 223 quinquies B du CGI, en abaissant fortement le seuil de référence qui détermine les sociétés concernées (en fonction de leur chiffre d’affaires ou du total de leur bilan) de 400 millions d’euros à 50 millions d’euros. Cette extension concernera donc des sociétés qui, du fait de leur taille, ne sont pas tenues de préparer une documentation prix de transfert pour la présenter à l’administration en cas de contrôle (LPF, art. L. 13 AA). Elle s’appliquera aux déclarations devant être déposées au titre des exercices clos à compter du 31 décembre 2016. Rappelons que pour l’exercice correspondant à cette date de clôture, la déclaration des prix de transfert est à souscrire pour le 3 novembre 2017.
Obligation pour les sociétés de publier des informations relatives à leurs bénéficiaires effectifs
La loi (art. 139) rend obligatoire la déclaration périodique, via le registre du commerce et des sociétés, des informations relatives aux bénéficiaires effectifs. Cette déclaration, pour laquelle aucune sanction spécifique n’est prévue, pourra se révéler d’application délicate,
dès lors que certaines sociétés auront du mal à apprécier le contrôle exercé par les personnes qui doivent être qualifiées de bénéficiaire effectif. Rappelons que cette mesure a été présentée comme venant compléter le dispositif concernant spécifiquement les trusts. Un décret en Conseil d’Etat précisera les informations sur les bénéficiaires effectifs qui sont mises à la disposition du public et celles qui ne sont accessibles qu’aux autorités publiques compétentes dans certains domaines énumérés par le texte, dont notamment la lutte contre l’évasion fiscale1. Cette obligation entrera en vigueur le 1er avril 2017 (cette date est le résultat de la loi qui a fixé l’entrée en vigueur au premier jour du quatrième mois suivant celui de la promulgation de la loi Sapin II).
Commercialisation d’investissements immobiliers ouvrant droit à une réduction d’impôt
La loi (art. 78) pose une nouvelle obligation de transparence, immédiatement applicable, en cas de démarchage ou de publicité pour des investissements immobiliers ouvrant droit à certains dispositifs fiscaux comme la réduction d’impôt dite « Pinel ». Le manquement à cette nouvelle obligation, qui consiste à informer l’investisseur de l’existence des risques afférents à son investissement, pourra être sanctionné par une amende administrative de 100 000 euros.
Régime des micro-entreprises (anciennement régime des auto-entrepreneurs)
La loi (art. 124) assouplit le régime, dont on rappelle qu’il simplifie et allège la fiscalité en matière de TVA et d’impôt sur le revenu, en l’ouvrant notamment aux SARL dont l’associé unique est une personne physique dirigeant cette société.
Echange d’informations entre administrations
La loi (art. 160) complète le Livre des Procédures Fiscales (LPF) et le code des douanes pour prévoir que les agents de la DGFIP et de la DGCCRF peuvent se communiquer (spontanément ou sur demande) tous documents et renseignements détenus ou recueillis dans le cadre de l’ensemble de leurs missions respectives.
Mesures invalidées
Reporting financier public pays par pays (art. 137) : l’obligation qui devait être faite aux sociétés, notamment celles dont le chiffre d’affaires excède 750 millions d’euros, de publier un rapport public annuel comportant des indicateurs économiques et fiscaux sur leur activité pays par pays, a été invalidée. Le Conseil constitutionnel a relevé que cette obligation de la loi Sapin II serait « de nature à permettre à […] leurs concurrents, d’identifier des éléments essentiels de leur stratégie industrielle et commerciale », ce qui porterait une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d’entreprendre. Les motifs de la décision rendue par le Conseil semblent d’ailleurs pouvoir être mobilisés dans un éventuel contentieux qui serait intenté contre l’obligation qui s’applique d’ores et déjà au secteur financier, depuis une loi de 2013.Rappelons par ailleurs que la France a été parmi les premiers pays à introduire une obligation de reporting pays par pays, non pas public mais destiné à l’administration fiscale. Les modalités d’application de cette disposition (introduite par la loi de finances pour 2016, publiée fin 2016) ont été précisées par un décret n°2016-1288 du 29 septembre 2016 qui fixe le contenu et les conditions de dépôt de cette déclaration. Les sociétés concernées devront souscrire, pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2016, la déclaration dans les 12 mois qui suivent la clôture de l’exercice.
Régime de la TVA à l’importation (art. 58) : l’aménagement du régime d’autoliquidation de la TVA à l’importation, qui devait conduire à renforcer l’encadrement du régime optionnel résultant de la loi sur « l’économie bleue » et à tirer les conséquences de l’entrée en application du code des douanes communautaire a été invalidé par le Conseil au motif que cette réforme n’a pas sa place dans cette loi (cavalier législatif). Cette réforme pourrait toutefois être réintroduite dans les lois de finances2.
Poursuites pénales contre la fraude fiscale (art. 23) : le Conseil constitutionnel a invalidé l’extension de la compétence exclusive du parquet financier à compétence nationale notamment aux délits de fraude fiscale aggravée (article 1741 et 1743 du CGI) commis en bande organisée, en relevant notamment que la disposition votée ne prévoyait pas de « dispositions transitoires de nature à prévenir les irrégularités procédurales susceptibles de résulter de ce transfert de compétence ».
Dispositions diverses : sont également invalidées, principalement parce qu’il s’agit de cavaliers législatifs qui pourraient sans doute être réintroduits dans une loi de finances (s’agissant en tout cas des deux premières mesures) : la possibilité, pour les exploitations agricoles à responsabilité limitée dont l’associé unique est une personne physique dirigeant cette exploitation, de bénéficier du régime fiscal des micro-exploitations (art. 112), l’aménagement du régime du crédit d’impôt relatif aux logements sociaux en outre-mer (art. 166), et l’impossibilité qui devait être faite aux personnes visées par une condamnation pour manque de probité (les « infractions fiscales » devaient figurer dans la liste de ces atteintes) d’être candidat à une élection (art. 19).
Notes
1 Le décret n’était pas paru à la date à laquelle cet article a été rédigé, mais il pourrait l’être à la date de parution.
2 Ces projets de loi étaient en cours de discussion au Parlement à la date à laquelle cet article a été rédigé, mais les lois définitives seront connues à la date de sa parution.
Auteur
Florent Ruault, avocat, spécialiste des impôts directs au sein du département de doctrine fiscale