Les cadres au forfait jours : autonomes mais responsables
21 octobre 2013
Les forfaits jours sont aujourd’hui régulièrement remis en cause dans le cadre des contentieux des personnels concernés. Les intéressés font notamment valoir que leur situation individuelle ne justifie pas l’application de ce régime dérogatoire.
Le forfait jours est réservé aux salariés disposant d’une certaine maîtrise de leur emploi du temps
Rappelons que conformément à l’article L. 3121-42 du code du travail, seuls peuvent conclure une convention de forfait annuel en jours :
- les cadres qui disposent d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés ;
- les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi pour l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées.
L’accord collectif devant déterminer les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait en jours (L. 3121-39 du code du travail) doit donc veiller à bien délimiter son champ d’application.
Mais la seule appartenance à une catégorie visée par l’accord collectif ne suffit pas à valider le recours à la convention individuelle de forfait jours, notamment lorsque les intéressés peuvent faire valoir qu’ils ne disposaient pas d’une autonomie suffisante dans l’organisation de leur emploi du temps.
En cas de contentieux, il doit donc être démontré que l’intéressé disposait effectivement d’une autonomie suffisante dans l’exercice des fonctions.
La question des plannings
Selon la Cour de cassation, un salarié dont l’emploi du temps est déterminé par sa direction, qui définit le planning de ses interventions auprès des clients, n’est pas autonome dans l’organisation de son emploi du temps et ne peut donc pas conclure une convention de forfait en jours. La solution est déjà ancienne (Cass. soc., 31 oct. 2007).
Un arrêt du 23 janvier 2013 en souligne l’actualité, dans une hypothèse, à vrai dire, très particulière puisqu’il s’agissait de membres du comité de direction des machines à sous d’un casino, réglementairement tenus d’être sur place. La Cour de cassation n’a, d’ailleurs, pas publié cette décision.
Les juges du fond tranchent également en ce sens : même si le salarié fixe lui-même ses plannings horaires, le forfait jours peut être privé d’effet dès lors que les contraintes inhérentes à ses fonctions ou les consignes auxquelles il est tenu, lui impose de respecter les horaires collectifs de travail. Tel sera par exemple d’un chef de rayon dont les fonctions impliquent l’intégration à une équipe dont l’animation et la supervision obligent à une présence sur le site de vente pendant les horaires d’ouverture du magasin (cour d’appel de Paris, 20 octobre 2011).
Pour pouvoir gérer le temps de travail sur la base d’un forfait jours, il convient donc de laisser à l’intéressé un certain degré de maîtrise dans la gestion de son temps de travail – le salarié doit rester libre de fixer le moment ou le temps qu’il consacre à son activité (cour d’appel d’Orléans, 24 mai 2012).
Mais une telle autonomie ne va pas sans responsabilité : en contrepartie il doit pouvoir être demandé à l’intéressé de justifier que l’organisation qu’il a mise en place, de manière autonome, participe au bon fonctionnement de l’entreprise et permet surtout de répondre aux attentes de son employeur.
Le cadre au forfait jours ne peut pas prendre prétexte de l’autonomie dont il dispose pour justifier son manque d’implication
À titre d’illustration, la cour d’appel de Paris a estimé que le licenciement d’un salarié était justifié au motif notamment qu’en dépit des remarques concernant ses arrivées tardives – témoignant selon la société en cause d’un faible investissement dans sa mission et ne facilitant en rien l’atteinte de ses objectifs – l’intéressé n’avait pas estimé nécessaire de s’y conformer préférant se prévaloir de l’autonomie de gestion de ses horaires que lui conférait le régime du forfait jours (cour d’appel de Paris, 6 juin 2013).
A cet égard, il serait utile de rappeler l’obligation pour les cadres au forfait jours d’optimiser l’organisation de leur emploi du temps afin d’atteindre les objectifs qui leur sont fixés.
L’annulation du forfait n’implique pas la reconnaissance d’heures supplémentaires
Notons pour conclure que les juges du fond et la Cour de cassation ont récemment rappelé (Cass. soc.5 juin 2013, n°12-14729) que l’éventuelle irrégularité du forfait jours n’impliquait pas automatiquement de faire droit aux demandes d’heures supplémentaires du salarié.
Celui-ci doit, en effet, étayer sa demande et si le juge considère que les heures supplémentaires ne sont pas établies, la demande doit être rejetée.
A propos des auteurs
Nicolas Callies, avocat associé. Il est spécialisé dans la réorganisation de grands groupes industriels et d’établissements financiers, dans l’accompagnement lors de négociation avec les partenaires sociaux dans des contextes de crise, dans l’assistance à l’occasion de la négociation annuelle obligatoire et de négociation de statut collectif, d’accords seniors, GPEC, droit syndical… dans les contentieux collectifs (contestation désignation d’expert, élections professionnelles…), l’épargne salariale (négociation d’accords d’intéressement, de participation et plan d’épargne dans de grands groupes), la formation en matière sociale des directeurs d’agence d’un établissement financier et de directeurs de magasin et responsables régionaux d’un groupe de distribution, le contentieux prud’homaux, le statut des dirigeants et l’assistance lors des contrôles URSSAF et contentieux sécurité sociale
Fanny Gout, avocat, département social
Article paru dans Les Echos Business du 16 octobre 2013
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