Les clauses de changement de contrôle comme arme anti-OPA
Près de dix ans après la célèbre affaire ayant opposé Yahoo à Microsoft, les « clauses de changement de contrôle » pourraient à nouveau occuper une partie de l’actualité des offres publiques en France. Souvent classées parmi les « poison pills », elles sont appréciées des sociétés cotées : les trois quarts des sociétés du CAC 40 en feraient usage. Retour sur une arme anti-OPA efficace quoique controversée.
Récemment, à l’occasion du conflit qui a défrayé la chronique dans l’affaire Solocal, le Président de Solocal Group a déclaré qu’un « changement de majorité du conseil d’administration déclenchait l’exigibilité immédiate des obligations émises et une obligation de rachat par la société », ce qui a eu pour effet de rendre l’assemblée générale qui s’est tenue le 19 octobre 2016 très animée et de faire renoncer certains actionnaires à demander la révocation de membres du conseil d’administration qu’ils avaient initialement envisagée.
Cette actualité témoigne à elle seule de l’importance des clauses de changement de contrôle dont on dit volontiers qu’elles sont plus répandues à l’étranger qu’en France. L’occasion est ainsi donnée de rappeler les vertus et les limites de ce mécanisme.
Les clauses de changement de contrôle désignent en réalité une palette d’instruments juridiques assez diversifiée. Leur objet varie sensiblement d’une hypothèse à l’autre. L’idée générale est de dissuader un investisseur de déclencher une OPA et, pour cela, plusieurs possibilités existent. On peut en particulier tenter d’influer sur les contrats indispensables au bon fonctionnement de la société ou sur ses actifs.
Dans le premier cas, les clauses prévoient, en cas de changement de contrôle de la société cotée, une résiliation ou un changement de conditions dissuasif des contrats conclus avec les principaux fournisseurs et/ou clients de la société ou encore un changement des modalités de financement bancaire ou obligataire. Plus spécifiquement, et il faut bien reconnaître que cette arme n’est pas dépourvue d’efficacité, il est possible de prévoir dans le contrat d’émission de titres obligataires l’obligation de rembourser, d’échanger ou de convertir, dès le changement de contrôle de l’émetteur, l’intégralité des titres remboursables, échangeables ou convertibles en actions.
Chacune de ces clauses, on le comprend, conduit à faire douter l’initiateur potentiel de l’offre qui, par hypothèse, fonde sa stratégie sur une situation contractuelle et financière de la cible qu’il peut plus ou moins maîtriser. En présence de telles clauses, l’avenir de son investissement est clairement incertain puisque dépendant du bon vouloir des bénéficiaires de ces clauses.
Dans le second cas, et c’est une pratique aujourd’hui bien moins répandue en France qu’aux Etats-Unis, les clauses de changement de contrôle ont pour objet de transférer des actifs sociaux d’importance stratégique en dehors du patrimoine de la société cotée. Dans cette hypothèse, la clause figure dans un contrat conclu avec un tiers et confère à ce dernier une faculté d’acquisition des actifs stratégiques en cas de changement de contrôle. L’idée, ici, est de confronter l’investisseur potentiel à la sortie des actifs motivant son investissement. Par le passé, la Commission des opérations de Bourse (COB, aujourd’hui AMF) s’est montrée hostile à ce type de stipulations, ce qui explique probablement le moindre attrait dont elles bénéficient aujourd’hui.
Dans tous les cas de figure, il existe évidemment des limites à l’utilisation de ces clauses de changement de contrôle dans la mesure où elles doivent être conformes à l’intérêt social de la société cotée et respecter l’obligation de transparence si elles portent sur des activités ou actifs significatifs. En outre, l’insertion de telles clauses peut, si les statuts le prévoient, devoir faire l’objet d’une autorisation en AG si elle est effectuée en période d’offre.
Ainsi, si les clauses de changement de contrôle peuvent permettre de renforcer substantiellement le dispositif anti-OPA déjà existant, il conviendra de les utiliser avec circonspection au regard des limites susmentionnées et d’observer les développements éventuellement contentieux liés à leur utilisation.
Auteur
Jean-Robert Bousquet, avocat associé en Coporate/Fusions & Acquistions