Une application jurisprudentielle plus réaliste de l’égalité de traitement
9 novembre 2016
Le principe «à travail égal, salaire égal», qui s’applique «classiquement» dans le cadre de l’entreprise, donne lieu à une jurisprudence abondante en ce qui concerne la comparaison entre établissements d’une même entreprise.
En effet, la jurisprudence admettait le principe d’une différenciation par établissement, dont la source pouvait être ou non un accord collectif, sous réserve qu’elle repose sur des raisons objectives et pertinentes (par ex., Cass. Soc. 24 novembre 2009 n°08-41.097 concernant des accords d’établissements ; Cass. Soc. 28 octobre 2009 n°08-40.457 concernant un accord d’entreprise et Cass. Soc. 21 janvier 2009 n°07-43.452 pour une application unilatérale).
Une présomption de justification de certaines différences conventionnelles
L’expérience ayant montré que cette exigence de justification se heurtait à des difficultés d’appréciation de ce qui était susceptible de constituer lesdites raisons objectives, la Cour de cassation a opéré un revirement remarqué en reconnaissant une présomption de caractère justifié aux différences de traitement opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs de branche d’abord entre catégories professionnelles (Cass. Soc. 27 janvier 2015 n°13-22.179) puis entre des salariés exerçant, au sein d’une même catégorie professionnelle, des fonctions distinctes (Cass. Soc. 8 juin 2016 n°15-11.324).
Deux questions s’étaient alors plus particulièrement posées quant à la portée de ces arrêts :
- d’une part, cette position avait-elle vocation à s’appliquer à la négociation d’entreprise et à la négociation d’établissement ? ;
- d’autre part, la présomption de justification devait-elle s’étendre à l’ensemble des différences de traitement d’origine conventionnelle ?
L’extension de la présomption aux accords d’établissements
La Cour de cassation vient, en toute logique, d’apporter une réponse affirmative à ces interrogations dans un arrêt du 3 novembre 2016 selon lequel : «les différences de traitement entre des salariés appartenant à la même entreprise mais à des établissements distincts, opérées par voie d’accords d’établissement négociés et signés par les organisations syndicales représentatives au sein de ces établissements, investies de la défense des droits et intérêts des salariés de l’établissement et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle».
Reconnaissance d’une nouvelle cause justificative d’une inégalité de traitement…
Restent les différenciations entre établissements dont la source n’est pas conventionnelle. En la matière et sans conteste, le besoin de justification demeure. Mais la Cour de cassation est récemment venue étoffer la gamme des «raisons objectives» en retenant «la disparité du coût de la vie invoquée par l’employeur pour justifier la différence de traitement qu’il avait mise en place», «par engagement unilatéral», «entre les salariés d’un établissement situé en Ile-de-France et ceux d’un établissement de Douai» (Cass. Soc. 14 septembre 2016 n°15-11.386).
Il convient de souligner que, dans cette affaire, d’une part, la démonstration de l’employeur était étayée par des études émanant d’organismes publics et privés et des articles parus dans divers périodiques mais également par des cartes synthétisant les données relatives au coût de la vie sur les régions et communes d’habitation des salariés et, d’autre part, que la Cour d’appel avait relevé que la différence de rémunération constatée était relativement ténue (de 1,19% à 1,57%).
… en lien avec une nouvelle conception de l’activité du salarié
La position de la Cour de cassation est dès lors clarifiée. En effet, si elle avait déjà pu être confrontée à l’argument du coût de la vie par le passé, elle ne l’avait jusqu’à présent pas retenu, faute pour l’employeur d’en avoir effectivement rapporté la preuve (Cass. Soc. 5 mai 2010 n°08-45.502) ou après que les juges du fond ont relevé «qu’aucun élément objectif intrinsèque à la charge de travail et aux postes respectivement occupés n’était présenté par l’employeur» (Cass. Soc. 28 mai 2014 n°12-27.811).
Dans l’avis de l’avocat général à la Cour de cassation, Hubert Liffran, rendu dans le cadre de l’arrêt du 14 septembre 2016, celui-ci relève que l’analyse ayant abouti à l’arrêt du 28 mai 2014 «paraît retenir une conception trop étroite de l’activité du salarié». Pour lui, «l’égalité entre les salariés travaillant dans des établissements différents doit s’apprécier par rapport non seulement à la charge de travail et aux conditions dans lesquelles chacun d’entre eux exécute sa prestation de travail, mais aussi à ce qui est la conséquence même de sa prestation de travail, c’est-à-dire la perception d’un salaire qui lui permet de vivre» (Gazette du Palais – 04/10/2016 – n°34 – page 15).
Cette jurisprudence, riche d’enseignements, participe ainsi d’un mouvement général d’assouplissement dans l’application du principe «à travail égal, salaire égal».
Auteurs
Marie-Pierrre Schramm, avocat associée, spécialisée en conseil et en contentieux dans le domaine du droit social
Caroline Lambert, avocat, droit social
Une application jurisprudentielle plus réaliste de l’égalité de traitement – Article paru dans Les Echos Business le 9 novembre 2016
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