Prix de transfert: la recherche et développement, les subventions, et la méthode du coût majoré
Dans une décision du 11 octobre 2016, la Cour Administrative d’Appel de Versailles a jugé qu’une société française ne transférait pas de bénéfices à l’étranger en déduisant une subvention perçue de l’Etat français de sa base de coûts à facturer à une société liée. La déduction de la subvention apparaît bien comme un comportement normal et l’administration fiscale n’est pas parvenue à établir, par le biais de comparaisons pertinentes, qu’un avantage anormal avait été consenti à une société étrangère.
La société Philips France a réalisé des opérations de recherche et développement pour le compte d’une autre société du groupe établie à l’étranger. Pour ces services, elle était rémunérée selon la méthode du coût majoré, avec une marge de 10% sur les coûts afférents à ces prestations. Sans contester la méthode utilisée, l’administration fiscale française a redressé Philips France lui reprochant d’avoir déduit les subventions reçues de la base des coûts refacturés, et d’avoir ainsi reçu une rémunération insuffisante pour ses services.
Comme toujours en matière de prix de transfert, il convenait de rechercher comment se seraient comportées des sociétés indépendantes comparables dans un contexte similaire, ce que n’a pas fait l’administration fiscale.
Selon nous, la solution retenue par la Cour ne devrait pas se limiter aux subventions et pourrait ainsi trouver à s’appliquer pour le crédit d’impôt-recherche ou le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi.
1. La minoration de la base de coûts à facturer à hauteur de la subvention est un comportement normal
Pour savoir comment se seraient comportées des parties indépendantes, une première étape pourrait consister en l’analyse des stipulations contractuelles. Le contrat entre Philips France et son donneur d’ordre occupait d’ailleurs une place prépondérante dans l’analyse du Tribunal Administratif. Bien que la société estimait que la facturation des coûts nets était expressément prévue par le contrat-cadre, le Tribunal avait considéré que tel n’était pas le cas et que ceci démontrait l’existence d’un avantage concédé à une société étrangère. La Cour Administrative d’Appel de Versailles n’a pas jugé que la rédaction contractuelle était à elle seule suffisante pour apporter la preuve que des parties indépendantes se seraient comportées différemment de Philips France.
Une analyse des textes fiscaux applicables en la matière montre que rien ne s’oppose à la prise en compte de la perception de subventions pour la détermination d’un prix de pleine concurrence. Ni l’article 57 du Code Général des Impôts (« CGI »), ni la doctrine administrative ne donnent d’indication directe quant à la définition des coûts dans le cadre de l’application de la méthode du coût majoré mais l’administration fiscale prévoit dans sa doctrine l’obligation pour l’entreprise de tenir compte, pour déterminer ses prix, des mesures prises par les pouvoirs publics comme les subventions1. Les principes directeurs de l’OCDE vont dans le même sens2.
Un autre argument en faveur de la déduction des différents produits directement affectables aux coûts de recherche et développement trouve son origine dans l’analyse fonctionnelle qui permet de caractériser les responsabilités et risques respectifs du donneur d’ordre et du prestataire.
La méthode du prix de revient majoré repose sur la garantie pour le prestataire d’un certain niveau de profitabilité, quels que soient les avantages que pourra en tirer le donneur d’ordre. Si le programme de recherches n’aboutit pas, c’est le donneur d’ordre qui en subira tous les risques financiers, en supportant les coûts engagés, sans certitude de pouvoir en retirer un revenu supérieur. La contrepartie de ce risque financier réside dans le fait que seul le bénéficiaire des services pourra recevoir les avantages financiers découlant du programme de recherches : ces avantages financiers sont bien entendu les revenus tirés de l’exploitation des éléments incorporels créés par les efforts de recherche, mais aussi tout autre revenu lié au programme de recherche, comme les subventions.
Si, au lieu de déléguer le service à un prestataire, le donneur d’ordre avait décidé de réaliser les travaux lui-même, il n’aurait d’ailleurs supporté que des coûts nets, puisqu’il aurait été en droit de recevoir directement des subventions.
Un dernier argument aurait dû convaincre l’administration fiscale. Un calcul arithmétique assez simple montre que, dans le cas d’espèce, la non déduction des subventions des coûts à facturer avec une marge de 10% permettrait à la société française de réaliser (et à l’Etat français de taxer) une marge représentant près de 15% des coûts. En effet, la solution retenue par l’administration fiscale revient à imposer une marge équivalente à 10% des coûts et à l’intégralité de la subvention reçue. Une telle solution, peu logique et antiéconomique, aurait en outre posé quelques difficultés de déduction fiscale pour la société qui achète ces services.
La Cour n’a pas eu l’occasion de se prononcer directement sur ces arguments car l’administration fiscale a failli dans sa tentative de démonstration d’une anormalité, préalable nécessaire à tout redressement en matière de prix de transfert.
2. Une nouvelle confirmation du contrôle du juge de l’impôt sur l’administration s’agissant de la preuve en matière de prix de transfert
En vertu de l’article 57 du CGI, le régime de la preuve en matière de prix de transfert suit deux phases successives : c’est d’abord à l’administration qu’il appartient de rapporter le caractère anormal de l’opération qu’elle entend redresser3. Et ce n’est qu’après caractérisation de tels avantages que l’entreprise vérifiée doit apporter la preuve contraire4.
Le Tribunal Administratif avait admis que le Service rapportait la preuve qui lui incombait, en établissant que le contrat liant les deux parties ne prévoyait pas expressément que les coûts refacturés devaient être diminués des subventions reçues. Toutefois, la Cour n’a pas suivi ce raisonnement. Faute pour l’administration de rapporter l’existence d’un avantage par nature, elle était tenue, pour opérer son redressement, de rapporter un avantage par comparaison avec la pratique d’entreprises indépendantes similaires. En d’autres mots, la question à laquelle devait répondre la Cour en l’espèce était de savoir si l’administration fiscale établissait que des entreprises indépendantes similaires n’auraient pas ajusté leurs prix suite à la perception de subvention.
L’administration fiscale a tenté d’établir l’anormalité de la transaction par rapport à la pratique d’entreprises indépendantes en présentant les résultats d’entreprises prétendument comparables. Depuis une décision du 7 novembre 2005 Cap Gemini5, le juge administratif est extrêmement exigeant quant à la qualité de la démonstration qui doit être faite par l’administration. Le Conseil d’Etat a confirmé cette exigence dans une décision récente PIH France6.
Dans l’affaire Philips, la Cour a considéré que l’administration fiscale n’avait pas rapporté la preuve que des entreprises indépendantes n’auraient pas déduit le montant des subventions reçues pour calculer leur rémunération dans la mesure où les cinq sociétés retenues par l’administration ne pouvaient pas être retenues comme des sociétés comparables, quatre d’entre elles exerçant dans un domaine d’activité différent de celui de Philips France et que «surtout» aucune d’entre elles ne pouvait être considérée comme indépendante.
Il convient aussi de relever un point que la Cour n’a pas eu la possibilité de souligner compte-tenu de la mauvaise qualité des comparables de l’administration. Celle-ci ne rapportait pas la preuve que les comparables de son échantillon percevaient des subventions. Faute de présenter des sociétés se trouvant dans cette situation, il paraît difficile d’établir comment se seraient comportées des entreprises indépendantes similaires dans ce contexte.
La Cour Administrative d’Appel de Versailles, en rejetant la comparaison effectuée par le Service ne tranche pas la question de fond posée par cette affaire. Mais en reprenant très largement les arguments des parties, la Cour donne un éclairage très utile sur la question.
Notes
1 BOI-BIC-BASE-80-10-10, n°110, à jour au 18/02/2014
2 Principes directeurs de l’OCDE en matière de prix de transfert dans leur rédaction de 1995 et 2010, §1.73, § 8.17 ou encore nouveau §8.19 après publication en octobre 2015du rapport final sur les actions 8-10 de BEPS
3 BOI-BIC-BASE-80-20, n°330, à jour au 12/09/2012
4 BOI précité, n°370
5 CE 7 novembre 2005, n°266436 et 266438, min. c/ Sté Cap Gemini
6 CE, 21 septembre 2016, n°382733, Sté
Auteurs
Stéphane Gelin, avocat associé, spécialisé sur la planification fiscale, les prix de transfert et la fiscalité des fusions-acquisitions pour les multinationales françaises et étrangères.
Valentin Lescroart, avocat en fiscalité internationale.