CCMI : Nullité du contrat, démolition et indemnisation
Une série d’arrêts récents de la Cour de cassation rappelle le régime et les conséquences de la nullité d’un contrat de construction de maison individuelle. Rappelons que le contrat de construction de maison individuelle est notamment régi par les dispositions de l’article L 231-2 du Code de la construction et de l’habitation, lesquelles sont d’ordre public et constituent des mesures de protection édictées dans l’intérêt du maître de l’ouvrage et dont la violation est sanctionnée par une nullité relative.
Nullité du CCMI et démolition de la construction
Lorsque ces dispositions n’ont pas été respectées et que la nullité encourue est prononcée par les juges, l’une des questions en débat est celle de la conséquence de cette nullité, notamment au regard de la démolition de l’ouvrage.
L’arrêt du 21 janvier 2016 (cass. civ. 3e, 14-26085) pose que :
« Le maître de l’ouvrage, qui invoque la nullité d’un contrat de construction de maison individuelle, n’est pas tenu de demander la démolition de la construction […] et peut limiter sa demande à l’indemnisation du préjudice résultant de cette nullité ».
Dans cette affaire, la Cour d’appel avait déclaré irrecevable l’action des maîtres d’ouvrage en nullité du contrat de construction au motif que ces derniers sollicitaient que la démolition de l’immeuble soit laissée à leur libre appréciation.
On comprend que, dans cette espèce, les maîtres d’ouvrage entendaient tirer avantage de la nullité du contrat de construction tout en conservant la construction édifiée.
La Cour de cassation tranche en posant pour principe que la demande en démolition de la construction n’est pas obligatoire.
Non seulement la demande de démolition n’est pas obligatoire, mais la démolition, lorsqu’elle est demandée, n’est pas non plus de droit.
En effet, dans ce même arrêt, la Cour de cassation précise que le juge n’est pas tenu d’ordonner la démolition de la construction.
Surtout, dans un précédent arrêt du 15 octobre 2015 (cass. Civ 3e, 14-23612), la Cour de cassation avait déjà jugé que si la démolition de l’ouvrage est demandée et si cette demande est contestée, il appartient aux juges de rechercher si la démolition de l’ouvrage constitue une sanction proportionnée à la gravité des désordres et des non- conformités qui l’affectent.
Cela signifie que la démolition de l’ouvrage n’est en aucune façon la conséquence automatique de la nullité du contrat et que, quand bien même le contrat de construction de maison individuelle serait nul pour violation des dispositions d’ordre public de l’article L 231-2, la demande de démolition doit être rejetée si l’ouvrage n’est pas affecté de désordres et ou de non-conformités justifiant sa démolition.
Lorsque la démolition n’est pas ordonnée, soit qu’elle n’a pas été demandée par le maître d’ouvrage soit que sa demande a été rejetée, le maître d’ouvrage doit-il payer la construction édifiée en exécution du contrat annulé ?
La Cour de cassation répond par l’affirmative dans plusieurs décisions récentes :
- «la Cour d’Appel, qui n’était pas saisie d’une demande de démolition de l’immeuble fondée sur la nullité du contrat, a exactement déduit de ces seuls motifs que les maîtres d’ouvrage étaient redevables des coûts de la construction, prestation dont ils avaient bénéficié, sous déduction du coût nécessaire à la levée des deux dernières réserves» (cass. civ 3e, 7 avril 2016, 14-19268) ;
- «qu’en statuant ainsi, alors que la remise en état des parties dans la situation antérieure au contrat annulé justifiait le remboursement au constructeur des sommes exposées lors de la construction de l’immeuble conservé par les maîtres de l’ouvrage» (cass. civ 3e, 7 janvier 2016, 14-14814) ;
- : «Mais attendu qu’ayant constaté que les maîtres d’ouvrage avaient conservé l’ouvrage dont ils n’avaient pas sollicité la démolition, […] et exactement retenu que le prononcé de la nullité pour violation des règles d’ordre public régissant le contrat de construction de maison individuelle était, en l’absence de démolition, sans effet sur le droit à restitution des sommes déboursées par le constructeur» (cass. civ 3e, 17 juin 2015, 14-14372).
Il résulte de ces décisions que les maîtres d’ouvrage ne peuvent donc pas conserver la construction sans indemniser le constructeur du coût de la construction. Il s’agit en effet de payer au constructeur, non pas le prix du CCMI, mais «le coût de la construction», «les sommes exposées lors de la construction» ou «les sommes déboursées par le constructeur».
Au contraire, lorsque la démolition est prononcée, le constructeur se voit interdire le droit de solliciter le coût des travaux qu’il a réalisés (cass. civ 3e, 26 juin 2013, 12-18121 ; cass. civ 3e, 11 décembre 2013, 12-14748).
En outre, si l’édification d’une nouvelle maison comporte pour le maître d’ouvrage un surcoût, la charge de celui-ci doit être supportée par le constructeur dont le contrat a été annulé (cass. civ 3e, 26 novembre 2015, 13-24490).
Ainsi, en cas de démolition, le constructeur est non seulement privé du coût de ses travaux, mais il doit encore payer la démolition, voire le surcoût de la reconstruction.
Nullité du CCMI et indemnisation
Indépendamment de la démolition et de ses conséquences, la nullité du contrat de construction de maison individuelle ouvre droit, pour les maîtres d’ouvrage, à l’indemnisation de leur préjudice ; ce préjudice doit être prouvé et ne résulte pas nécessairement du seul fait que le contrat n’a pas respecté les dispositions d’ordre public du Code de la construction et de l’habitation (cass. Civ. 3e, 7 avril 2016, 14-19268).
Il peut ainsi être indemnisé du coût de la police dommages-ouvrage ou du montant des arrhes versées pour l’achat de fournitures devenues inutiles (cass. civ. 3e, 23 juin 2013, 12-18121).
En revanche, les maîtres d’ouvrage ne peuvent se prévaloir des conséquences dommageables du non-respect du délai prévu par le contrat annulé ; c’est ce que rappelle constamment la Cour de cassation (cass. civ. 3e, 7 avril 2016, 15-13900 ; cass. civ. 3e, 26 novembre 2015, 13-24490 et cass. civ. 3ème, 11 décembre 2013, 12-14748). Cette dernière casse systématiquement les arrêts de cours d’appel qui allouent aux maîtres d’ouvrage une indemnité basée sur la date de livraison prévue au contrat de construction annulé et ce aussi bien pour des préjudices matériels (paiement de loyers au-delà de la date de livraison prévue) que pour un préjudice moral.
Une des rares indemnités validée par la Cour de cassation est celle réparant un préjudice de jouissance résultant du fait de ne pas habiter dans l’immeuble à construire mais dans un logement loué (cass. civ. 3e, 26 juin 2013, 12-18121).
Auteur
Jean-Guillaume Monin, avocat associé en droit immobilier & construction, CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon