Que peuvent attendre les entreprises de la loi El Khomri ?
17 octobre 2016
La loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi El Khomri, a donné lieu, au cours du premier semestre de l’année 2016, à un conflit politique et social majeur.
On ne peut manquer d’observer à cet égard que cette loi est la première grande loi en droit du travail qui n’a pas donné lieu à la mise en œuvre de l’article L1, contrairement à toutes les grandes lois dans ce domaine depuis 2008. Ceci montre l’utilité de l’article L1, qui permet une négociation des textes, donc une acceptation par les partenaires sociaux, et, en cas d’échec, une maturation des esprits, comme pour la loi Rebsamen.
Ce conflit, qui relève désormais de l’histoire de nos relations sociales, n’intéresse pas ou n’intéresse plus les entreprises. Maintenant que le tumulte s’est tu, que la loi a été promulguée le 8 août 2016, il convient d’apprécier les conséquences de ce texte pour les entreprises.
Que peuvent attendre les entreprises de la loi El Khomri ? A mon sens, deux choses essentielles :
• une nouvelle architecture du Code du travail qui distingue, comme l’avait proposé le rapport Combrexelle et comme l’avait annoncé le Gouvernement, les dispositions d’ordre public, le champ de la négociation collective et les dispositions supplétives.
Cette nouvelle architecture fait l’objet d’une première application dans le domaine de la durée du travail et des congés (article 2 de la loi devenu l’article 8). Elle est appelée à s’étendre à l’ensemble du Code du travail, à l’issue des travaux de la commission de refondation du Code du travail, créée par l’article premier de la loi qui devra achever ses travaux en 2018.
Ce renvoi à la négociation collective donne la priorité à l’accord d’entreprise : c’est le sens de la formule « un accord d’entreprise, ou, à défaut, un accord de branche.. » qui confère un caractère subsidiaire à la négociation de branche.
Sur ce point essentiel, la mise en œuvre du rapport Combrexelle, qui était le principal objet de la loi au départ, le Gouvernement n’a pas reculé.
• une boite à outils très riche qui offre aux entreprises de nouvelles possibilités dans beaucoup de domaines.
Avec ses 123 articles et ses 86 pages au Journal Officiel, la loi El Khomri touche à pratiquement tous les sujets du droit du travail. Parmi l’ensemble des mesures qu’elle contient, il y a de véritables pépites que les entreprises sont en train, avec l’aide de leurs conseils, de découvrir. J’en prendrai six exemples :
– les forfaits jours :
<
-
li>d’une part, la loi énumère avec précision les stipulations que doivent contenir les accords, mettant ainsi fin à l’incertitude juridique résultant de la jurisprudence évolutive de la Cour de cassation qui a conduit à l’annulation de nombreux accords ;
- d’autre part, la loi sécurise les accords existants en permettant à l’employeur de continuer à les appliquer, même s’ils sont incomplets, à condition de mettre en place des instruments de contrôle de la charge de travail du salarié (document de contrôle ; compatibilité de la charge de travail avec le respect des jours de repos ; entretien annuel).
- toutes les négociations prévues au niveau de l’entreprise par la loi, les négociations obligatoires, peuvent désormais être engagées au niveau du groupe ;
- l’accord de groupe peut déroger à l’accord de branche sans que celui-ci le prévoit expressément. Il peut également se substituer aux accords d’entreprise ou d’établissement ;
- enfin, lorsqu’un accord conclu dans tout ou partie d’un groupe le prévoit expressément, ses stipulations peuvent prévaloir sur celles ayant le même objet des conventions ou accords conclus antérieurement et même postérieurement dans les entreprises ou les établissements compris dans le périmètre de cet accord.
– les accords de groupe : la loi leur ouvre une nouvelle ère par des dispositions très innovantes :
– la fin des avantages acquis : la loi met fin à la notion d’avantage individuel acquis, source de nombreux contentieux, pour la remplacer par la notion de maintien de la rémunération des douze derniers mois, ce qui est une simplification même si les modalités d’application de cette règle ne sont pas évidentes : la DGT semble privilégier, à ce stade, une comparaison de la rémunération globale en euros.
– les licenciements avant transfert : alors que la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation interdit tout licenciement avant le transfert d’une entreprise, l’ensemble des contrats de travail étant maintenu en application de l’article L1224-1 du Code du travail, la loi ouvre la possibilité, sous certaines conditions pour l’entreprise cédante, de licencier les salariés non repris dans le cadre d’un PSE.
– la procédure d’inaptitude : la procédure d’inaptitude, qui est à l’origine de nombreux contentieux est revue en profondeur : pour la première fois, l’inaptitude est définie dans le Code du travail ; l’exigence de deux examens médicaux, pratiqués à quinze jours d’intervalle, est supprimée ; en cas de contestation médicale de l’avis d’inaptitude, le recours ne sera plus porté devant l’inspecteur du travail mais devant le Conseil de prud’hommes saisi en référé d’une demande de désignation d’un médecin expert ; les obligations de reclassement de l’employeur sont précisées et limitées. La procédure de reclassement est harmonisée, quelle que soit l’origine professionnelle ou non de l’inaptitude.
– enfin, les congés payés peuvent désormais être pris dès l’embauche et non plus à compter de l’ouverture des droits : le nouvel embauché peut prendre les premiers jours de congés qu’il a acquis dès les premiers mois de son intégration dans l’entreprise. En outre, un accord d’entreprise pourra modifier la période d’acquisition des congés.
Comme le montrent ces exemples, la loi El Khomri constitue une riche boîte à outils dans laquelle les entreprises peuvent puiser des solutions pratiques aux problèmes qu’elle rencontre pour améliorer et rendre plus flexible leur fonctionnement, notamment par la voie d’accords d’entreprise.
Auteur
Olivier Dutheillet de Lamothe, avocat associé, Département social.
Que peuvent attendre les entreprises de la loi El Khomri ? – Article paru dans Les Echos Business le 17 octobre 2016
A lire également
Application du barème Macron dans le temps et résiliation judiciaire... 28 février 2022 | Pascaline Neymond
Un décret du 3 mai 2017 précise les modalités de publicité des accords colle... 13 juin 2017 | CMS FL
Indemnisation du licenciement et égalité devant la loi... 31 janvier 2017 | CMS FL
De la stricte appréciation des temps de travail et d’astreinte... 3 juillet 2018 | CMS FL
Réforme du droit du travail : quand sera-t-elle applicable ?... 22 septembre 2017 | CMS FL
Protection des lanceurs d’alerte : juges et législateur au diapason... 13 juillet 2016 | CMS FL
Mesures de gestion de la crise sanitaire intéressant la matière sociale pouvan... 17 novembre 2020 | CMS FL Social
Les nouvelles mesures de valorisation des carrières et des rémunérations des ... 17 février 2016 | CMS FL
Articles récents
- L’action en nullité d’un accord collectif est ouverte au CSE
- Complémentaire santé : vigilance sur la rédaction des dispenses d’adhésion
- Précisions récentes sur la portée de l’obligation de sécurité de l’employeur dans un contexte de harcèlement
- La jurisprudence pragmatique du Conseil d’Etat en matière de PSE unilatéral : Délimitation du périmètre du groupe (Partie I)
- Détachement, expatriation, pluriactivité : quelques nouveautés en matière de mobilité internationale
- Avenant de révision-extinction d’un accord collectif : « Ce que les parties ont fait, elles peuvent le défaire »
- Dialogue social et environnement : la prise en compte des enjeux environnementaux à l’occasion des négociations collectives d’entreprise
- L’accès de l’expert-comptable du CSE aux informations individuelles relatives aux salariés lors de la consultation sur la politique sociale de l’entreprise
- Conférence : Sécuriser vos pratiques pour limiter les risques juridiques dans l’entreprise (risque pénal, congés payés, RPS)
- Le recours à un client mystère : une méthode de contrôle loyale à condition d’être transparente