L’usufruitier a-t-il toujours droit aux dividendes prélevés sur les réserves ?
5 octobre 2016
Tous les dividendes reviennent-ils nécessairement à l’usufruitier de parts sociales ou d’actions ? Cette question ne pose pas de difficulté lorsque les dividendes sont prélevés sur le bénéfice de l’exercice. Mais qu’en est-il lorsqu’ils sont prélevés sur les réserves ?
L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 22 juin 2016 (n°15-19.471 et 15-19.516) apporte, à cet égard, des éléments de réponse, mais soulève une incertitude. Des éléments de réponse, puisqu’il confirme que les dividendes prélevés sur les réserves sont la propriété du nu-propriétaire. Mais également une incertitude, puisque la Cour n’évoque plus le droit de jouissance sur les sommes distribuées, qui avait pourtant été consacré par la jurisprudence de la chambre commerciale au bénéfice de l’usufruitier (Cass. com., 27 mai 2015, n°14-16.246 ; Cass. com., 24 mai 2016, n°15-17.788). En clair, tandis que la chambre commerciale de la Cour de cassation avait rassuré les praticiens en admettant que l’usufruitier pouvait être mis en possession et jouir des réserves pendant l’usufruit, à charge pour lui de les restituer au nu-propriétaire à la fin de l’usufruit, la première chambre civile introduit une ambiguïté qui a d’ailleurs été relevée par plusieurs commentateurs.
Pour autant, cette solution ne nous paraît pas se départir de celle retenue par la chambre commerciale. Au contraire, la solution semble identique sur le fond, mais pas sur la forme. Cela s’explique tout simplement par les faits à l’origine de la décision, ceux-ci étant différents de ceux auxquels avait été confrontée la chambre commerciale quelques mois auparavant.
Et pour cause, en l’espèce, l’enjeu était successoral : le litige portait sur la masse à partager entre des héritiers nus-propriétaires de titres sociaux. A cette occasion avait été posée la question du sort des dividendes prélevés sur les réserves de la société dont le défunt était associé à la suite de son décès. Deux analyses s’opposaient : ou bien les sommes distribuées étaient qualifiées de fruits, auquel cas elles revenaient en pleine propriété à l’usufruitier, et devaient, par suite, être exclues de la masse successorale ; ou bien elles constituaient des produits, revenant aux nus-propriétaires, et devaient en conséquence être incorporées à la masse à partager entre les héritiers. Les premiers juges avaient opté pour la première analyse ; la cour d’appel pour la seconde. La Cour de cassation donne raison à la cour d’appel qui a «exactement énoncé que si l’usufruitier a droit aux bénéfices distribués, il n’a aucun droit sur les bénéfices qui ont été mis en réserve, lesquels constituent l’accroissement de l’actif social et reviennent en tant que tel au nu-propriétaire».
Certes, sur un plan théorique, on pourra discuter la justification de la solution : il aurait sûrement été préférable de justifier l’attribution aux nus-propriétaires des dividendes prélevés sur les réserves par le fait qu’ils ont accru la substance, non de l’actif de la société, mais des parts d’associé, l’usufruit ne portant pas sur l’actif social mais sur les titres de la société. Mais l’essentiel est que la solution ne rompe pas avec la jurisprudence antérieure : s’il n’est pas fait mention du droit de jouissance de l’usufruitier sur les sommes distribuées, c’est tout simplement parce que la question n’était pas posée à la Cour de cassation dans cette affaire.
Auteur
Christophe Lefaillet, avocat associé spécialisé en droit des sociétés
L’usufruitier a-t-il toujours droit aux dividendes prélevés sur les réserves ? – Analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 26 septembre 2016
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