Règlement abus de marché : réflexions sur le rachat d’actions post MAR
Avec l’entrée en vigueur le 3 juillet 2016 des nouvelles règles Abus de marché, les rachats d’actions propres réalisés par les émetteurs concernés entrent dans un cadre à la fois familier et plus contraignant.
Le corpus juridique créé par le règlement MAR1 et plus récemment par le règlement délégué2 reconduit en effet les grands équilibres que les textes communautaires abrogés (directive 2003/6 et règlement 2273/2003) avaient introduits : principe d’un safe habor sous conditions ; limitations de prix et de volume ; obligations de transparence à l’égard de l’autorité compétente et du public.
Plus contraignant, ce cadre l’est aussi assurément. Première illustration concrète, la dérogation applicable aux opérations de rachat d’actions ne vise plus désormais que les seuls rachats d’actions propres et laisse les opérations réalisées via des instruments financiers dérivés hors du safe habor. Pour autant, on ne saurait admettre que le recours à des produits dérivés pour certaines opérations de rachats (couverture) soit frappé ab initio d’illégitimité et le règlement délégué indique seulement le périmètre de la légitimité garantie, en quelque sorte. L’AMF devrait prochainement l’affirmer, en même temps qu’elle devrait poser une clause de grand-père pour les opérations réalisées avant le 3 juillet 2016 mais débouclées postérieurement dans les conditions du cadre antérieur applicable à la date de conclusion de ces produits. Il serait néanmoins utile que le régulateur donne à l’avenir plus de visibilité aux acteurs sur les critères qui permettront de considérer que le recours à ces instruments n’entamera pas la légitimité des rachats d’actions auxquels ils se rattachent.
La deuxième illustration de la contrainte renforcée qui pèse désormais sur ces opérations de rachats concerne les limites de volume. Avec le souci d’assurer le respect de cette règle, le règlement délégué précise que la limite de 25% du volume quotidien moyen des échanges sur l’action considérée s’entend des échanges sur la plate-forme de négociation où l’achat est effectué. Cette prescription se comprend aisément puisqu’il s’agit de protéger l’intégrité du marché, laquelle n’est pas une notion abstraite et doit s’apprécier par analyse des transactions effectuées sur le lieu d’exécution des ordres et de négociation des actions. Il est en outre indiqué que les «opérations négociées», qui ne contribuent pas à la formation des prix, pourraient être utilisées aux fins d’un programme de rachat et bénéficier de la présomption de légitimité, sous réserve de respecter toutes les conditions posées par le règlement MAR et le règlement délégué.
Ces transactions dites «négociées» comprennent des transactions bilatérales concluent en dehors d’une plate-forme de négociation et ne passant pas par le carnet d’ordres. Elles ne contribuent donc pas au processus de formation du prix mais sont toutefois «rapportées au marché». L’AMF dans son projet de Guide (1.3.3.) précise que ces transactions peuvent bénéficier du safe habour «sous réserve que les conditions de prix et de volume susmentionnées sont également respectées». L’indication est loin d’être sans conséquence. Paradoxalement, des transactions bilatérales entre deux contreparties auront à subir la contrainte en volume, dont l’esprit comme indiqué supra est une mesure de protection de l’intégrité du marché, alors même que cette transaction aura été effectuée hors carnet d’ordres et n’aura pas affecté le processus de formation du prix.
La raison tient aux conséquences que l’AMF attache au rapport de ces opérations à la plate-forme de négociation, à savoir que ces opérations sont alors réputées avoir été «négociées» sur ladite plate-forme et en conséquence doivent subir les contraintes liées à l’exécution sur la plate-forme pour bénéficier de la présomption de légitimité. Les conditions dans lesquelles ces opérations sont réputées réalisées sur la plate-forme à laquelle elles sont rapportées sont définies par les règles de fonctionnement de chaque plate-forme3. Il n’en demeure pas moins que cette position stricte aura pour effet de rejeter hors du safe habor nombre de transactions bilatérales qui ne pourront pas satisfaire cette condition de volume. On mesure combien, pour des raisons déjà exposées, il conviendra que cette position doctrinale ne laisse pas les acteurs de marché au milieu du gué et propose à ces derniers des conditions ou critères permettant de placer ces opérations dans la légitimité à laquelle elles aspirent. Le bon fonctionnement des marchés et leur bon développement en dépend.
Au résultat, l’harmonisation plus poussée des règles d’encadrement des rachats d’actions propres par les émetteurs, qui se traduit par un resserrement du périmètre de légitimité de ces opérations, devra conduire les régulateurs européens à donner davantage d’orientations aux intervenants. Rien ne serait pire que de créer de nouvelles poches d’insécurité juridique.
Notes
1 Règlement UE 596/2014 du 16 avril 2014
2 Règlement délégué UE 2016/1052 du 8 mars 2016
3 Par exemple, les transactions TCS sur Euronext Paris
Auteur
Bruno Zabala, avocat counsel au sein du département de la doctrine juridique.