Les innovations malheureuses de la Loi El Khomri en matière de franchise
19 juillet 2016
Le projet de loi «El Khomri» introduit l’obligation pour les réseaux de franchise de créer une instance de dialogue et de représentation des salariés du réseau au mépris des caractéristiques inhérentes à la franchise comme l’indépendance du franchisé.
L’article 29 bis A de la dernière version en cours de discussion de la loi El Khomri crée une version allégée d’instance de dialogue social au sein des réseaux de franchise.
La première version du projet de loi imposait en outre une obligation de reclassement dans tout le réseau en cas de licenciement pour motif économique. Ce faisant, il allait au-delà de la jurisprudence de la Cour de cassation. En effet, si quelques décisions ont considéré qu’il pouvait exister une obligation de reclassement au sein d’un réseau de franchise, elles précisaient que cette obligation ne s’appliquait qu’en présence «de possibilités de permutation du personnel entre les structures exerçant sous la même enseigne». Le projet de loi ne reprenait pas cette condition. Cette obligation de reclassement renforcée a pour l’instant été supprimée de la dernière version du projet de loi.
La rédaction précédente du texte, objet d’une grande polémique, prévoyait également l’obligation pour les réseaux de franchise d’au moins cinquante salariés, de mettre en place une instance de dialogue entre les représentants des salariés élus et les représentants des franchisés présidée par un représentant du franchiseur qui ressemblait assez fortement à un comité de groupe. L’article 29 bis A, supprimé par le Sénat, puis réintroduit dans une version allégée par la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, crée une instance de dialogue social inédite qui ne concerne aujourd’hui que les réseaux comptant en France au moins trois cents salariés et liés par des contrats de franchise contenant des clauses ayant un effet sur l’organisation du travail et les conditions de travail.
Ces dispositions floues, qui laissent une large place à l’interprétation, risquent en pratique de concerner une majorité des réseaux et d’être source de contentieux. Il est en effet à craindre que sera considérée comme entrant dans le champ du texte toute franchise imposant par exemple des horaires d’ouverture minimale et une présentation type du magasin au motif que cela impacte les conditions de travail des salariés du franchisé.
La dernière mouture du texte prévoit de mettre en place cette instance de dialogue social au niveau de l’ensemble du réseau, comprenant des représentants des salariés du réseau, des franchisés et de la faire présider par le franchiseur. Ce faisant, le législateur souhaitait améliorer la situation des 350 000 salariés des réseaux de franchise. L’objectif est louable mais ne va pas dans le sens de la simplification des obligations des réseaux de franchise et risque de nuire à leur compétitivité.
L’indépendance juridique est l’essence même du réseau de franchise
La franchise est la forme juridique par laquelle le détenteur d’un savoir-faire original et d’une marque, décide de mettre ceux-ci à disposition de commerçants acceptant d’appliquer ce savoir-faire original et de se réclamer de la marque du franchiseur dans des sociétés et magasins juridiquement indépendants du franchiseur.
En ce sens, le franchisé est un entrepreneur indépendant qui assume les risques de son exploitation. Le modèle de la franchise repose entièrement sur cette indépendance juridique du franchisé à l’égard du franchiseur et le franchisé bénéficie d’une liberté dans ses choix organisationnels et notamment quant au choix de l’emplacement de vente. De ce fait, il est dangereux pour le franchiseur de s’impliquer trop étroitement dans la gestion de ses franchisés : une ingérence excessive (voire une gestion de fait) pourrait lui être reprochée notamment en cas de procédure collective de l’un de ses franchisés.
La création d’une instance de dialogue intra-réseau va à l’encontre de cette indépendance des franchisés et impose au franchiseur un rôle de tête de groupe alors même qu’en mettant en place un réseau de franchise, il avait fait le choix de ne pas assumer ce rôle. En effet si la loi est adoptée en l’état, l’instance créée devra être informée par le franchiseur des décisions de nature à affecter la durée du travail, les conditions d’emploi et la formation professionnelle des salariés des franchisés. L’instance pourra aussi formuler toute proposition de nature à améliorer dans tout le réseau les conditions de travail, de formation et de garantie collective complémentaires.
Cette disposition semble peu compatible avec l’esprit des textes de droit commercial et de droit de la concurrence, qui exigent tous les deux le strict respect de l’indépendance du franchisé à l’égard du franchiseur, et risque de créer une désaffection de ce mode de distribution par rapport à d’autres telles que les concessions par exemple.
La souplesse : attrait économique de la franchise
L’attrait des réseaux de franchise réside dans la possibilité pour le créateur d’un savoir-faire original et d’une marque distinctive d’exploiter ceux-ci sans subir les contraintes d’un lien de subordination. Ce modèle facilite le développement de concepts innovants puisque le créateur du réseau sait qu’il n’aura pas à dédier d’importants moyens humains et matériels à l’exploitation du savoir-faire qu’il a créé. La nouvelle disposition ne nous semble donc pas cohérente avec l’esprit de la franchise.
Enfin, l’impact économique d’une telle mesure pourrait également être significatif. Sauf accord spécifique, le franchiseur devra prendre en charge les moyens matériels et financiers de fonctionnement de l’instance en question ainsi que les frais de séjour et de déplacement des membres de l’instance de dialogue. Les franchisés devront, pour leur part, libérer leurs salariés élus pour qu’ils puissent assumer leurs fonctions au sein de cette nouvelle instance représentative.
Il résulte de ce qui précède une interrogation réelle sur la constitutionnalité du texte tenant d’une part, aux atteintes portées à la liberté d’entreprendre et d’autre part, aux modalités de mise en œuvre du droit de participation des salariés. Si le texte est déclaré constitutionnel le décret d’application qui viendra développer ce dispositif devrait nous en apprendre plus sur les nombreuses questions pratiques posées. Gageons toutefois que la plupart des franchiseurs et des franchisés n’avaient pas envisagé cette évolution législative et ses conséquences directes sur le fonctionnement de leur entreprise.
Auteurs
Alain Herrmann, avocat associé en droit social.
Stéphanie de Giovanni, avocat, membre du Barreau de New York, droit commercial et contrats internationaux.
Les innovations malheureuses de la Loi El Khomri en matière de franchise – Article paru dans Les Echos Business le 18 juillet 2016
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