Promoteur : professionnel de l’immobilier mais pas de la construction
L’arrêt de la Cour de cassation du 4 février 2016 (3ème chambre civile, pourvoi 14-29347, publié au Bulletin) met un terme définitif à un litige riche d’enseignements sur deux types de clauses contractuelles que l’on retrouve communément dans les contrats des bureaux de contrôle d’une part et dans les contrats d’architecte d’autre part.
Le contexte
Une SCI, maître d’ouvrage, avait fait réaliser un ensemble de villas avec piscine sous la maîtrise d’œuvre d’un architecte assuré auprès de la MAF, opération dont le contrôle technique avait été confié à la société Qualiconsult.
Le litige a donné lieu à un premier arrêt de la Cour d’Appel de Montpellier du 28 juin 2011, frappé de pourvoi et cassé par un arrêt de la troisième chambre civile du 19 mars 2013 (11-25266, non publié au Bulletin).
Le litige a été renvoyé devant la Cour de Montpellier qui, par un arrêt du 23 octobre 2014, a de nouveau statué sur l’affaire.
Ce second arrêt a également été frappé de pourvoi par la société Qualiconsult ; c’est ce pourvoi que l’arrêt de cassation du 4 février 2016 rejette, mettant ainsi un terme définitif au litige.
Ce dernier arrêt tranche la question de la validité de la clause limitative de responsabilité stipulée dans le contrat liant la société Qualiconsult au maître d’ouvrage. Par ailleurs, à l’occasion de ce litige, la Cour de cassation s’est également prononcée sur les clauses d’exclusion de solidarité fréquemment incluses dans les contrats d’architecte.
Validité des clauses limitatives de responsabilité dans les contrats des bureaux de contrôle
Dans cette opération remontant à 2004, le contrat du bureau de contrôle comportait une clause limitant la responsabilité de celui-ci à «deux fois le montant des honoraires perçus au titre de sa mission pour laquelle sa responsabilité est retenue».
En l’espèce, ce plafond de responsabilité s’élevait à la somme de 26.010 € HT, visiblement inférieure au montant des réparations nécessaires.
Le maître d’ouvrage avait contesté l’application de cette clause limitative de responsabilité ; la Cour de cassation lui donne raison dans son arrêt du 4 février 2016 confirmant l’arrêt de la Cour d’Appel qui avait jugé abusive cette limitation de responsabilité et avait prononcé la nullité de cette clause.
Pour aboutir à cette conclusion, le raisonnement s’est fait en deux étapes.
Première étape : la Cour de cassation valide d’abord le fait que «la SCI, promoteur immobilier, était un professionnel de l’immobilier mais pas un professionnel de la construction».
Dans ce contexte, la Cour suprême considère que la Cour d’Appel a pu retenir que le maître d’ouvrage, promoteur immobilier, devait être considéré comme un non professionnel vis-à-vis du contrôleur technique, par application de l’article L 132-1 du Code de la consommation dans sa rédaction applicable («Dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat»1).
Deuxième étape : ensuite, la Cour de cassation valide l’analyse de la Cour d’Appel qui avait retenu «à bon droit» que la clause ayant pour objet de fixer, une fois la faute contractuelle du bureau de contrôle établie, le maximum de dommages-intérêts que le maître d’ouvrage pourrait recevoir en fonction des honoraires perçus s’analysait en une clause de plafonnement d’indemnisation contredisant la portée de l’obligation essentielle souscrite par le contrôleur technique en lui permettant de limiter les conséquences de sa responsabilité contractuelle quelles que soient les incidences de ses fautes.
Conclusion : Une telle clause est abusive et doit être déclarée nulle et de nul effet.
L’élément majeur de cette décision est de considérer qu’un promoteur immobilier est un professionnel de l’immobilier et non un professionnel de la construction comme l’est le contrôleur technique ou d’autres professionnels de la construction tels que les architectes, les bureaux d’études et autres économistes de la construction.
Cette qualification de professionnel de l’immobilier opposé au professionnel de la construction aura probablement des répercussions dans d’autres domaines que sur les seules clauses limitatives de responsabilité.
On peut penser notamment aux arguments habituellement opposés par les professionnels de la construction au promoteur qui recherche leur responsabilité et que les premiers lui opposent son immixtion ou son acceptation des risques, théories exonératoires de responsabilité plus facilement acceptées par les juridictions lorsqu’elles sont opposées à un maître d’ouvrage professionnel.
Mais, dès lors que celui-ci est un professionnel de l’immobilier et non un professionnel de la construction, il n’y a aucune raison d’apprécier différemment ces moyens d’exonération de responsabilité selon qu’ils sont opposés à un promoteur ou à un maître d’ouvrage profane.
Validité des clauses d’exclusion de solidarité dans les contrats d’architecte
La réponse à cette question est fournie par les deux arrêts rendus dans cette affaire par la Cour de cassation les 19 mars 2013 (11-25266) et 4 février 2016 (14-29347).
Il résulte de l’examen combiné de ces deux décisions deux éléments.
Le premier réside dans le fait que la Cour de cassation valide l’arrêt de la Cour d’Appel qui avait estimé que la clause d’exclusion de solidarité du contrat d’architecte ne peut être qualifiée d’abusive et déclarée non écrite puisque, par application de l’article L 132-1 du Code de la consommation, si le promoteur immobilier est un professionnel de l’immobilier et pas un professionnel de la construction et doit donc être considéré comme un non professionnel vis-à-vis de l’architecte, il ne peut être considéré que la clause d’exclusion de solidarité crée un déséquilibre significatif entre le professionnel et le non professionnel puisque l’architecte reste responsable envers le maître d’ouvrage de toutes ses fautes commises dans l’exercice de sa mission mais uniquement de ses fautes, sans solidarité avec les autres intervenants à la construction.
Une telle clause d’exclusion de solidarité ne vide pas la responsabilité de l’architecte de son contenu puisqu’il doit assumer les conséquences de ses fautes et sa part de responsabilité dans les dommages.
Le second enseignement est que le Juge est tenu de respecter et d’appliquer les stipulations contractuelles excluant les conséquences de la responsabilité solidaire ou in solidum d’un constructeur à raison des dommages imputables à d’autres intervenants.
Les clauses d’exclusion de solidarité généralement contenues dans les contrats d’architecte sont donc licites et le Juge est tenu de les appliquer.
En conséquence, il appartient aux maîtres d’ouvrage d’être vigilants si une telle clause est contenue dans les projets de contrat qui lui sont soumis et de négocier, si possible, son retrait.
Note
1 Cet article été modifié par l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats puis abrogé par l’ordonnance du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation. A compter du 1er octobre 2016, c’est l’article 1174 du code civil qu’il faudra invoquer : «Dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite». A noter que le nouveau texte limite son application aux seuls contrats d’adhésion définis comme celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties. Ce qui est en général le cas des contrats des bureaux de contrôle dont les marges de négociation des conditions générales nulles en pratique.
Auteur
Jean-Guillaume Monin, avocat associé en droit immobilier & construction, CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon