Les contrats globaux dans l’ordonnance marchés publics
L’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics régit les marchés publics à objet composite (confiant des missions de différentes natures) ou contrats globaux. Elle reconnaît deux formes de contrats globaux : les contrats globaux avec financement public et les contrats globaux avec financement privé. Un risque d’exploitation significatif n’est transféré au titulaire dans aucun des deux cas, contrairement à une autre forme de contrats globaux : les concessions.
1. Pourquoi parle-t-on de marchés globaux avec financement public ?
Ces contrats impliquent un financement public, car ils ne permettent pas de dérogation à l’interdiction de paiement différé prévue à l’article 60-I de l’ordonnance. Toutefois, quelques nuances doivent être apportées. D’une part, si le paiement différé est interdit, un préfinancement limité des investissements par le titulaire du contrat paraît possible, dès lors qu’il ne s’étend pas au-delà de la phase de réalisation des investissements. D’autre part, comme on le verra, tous les acheteurs ne sont pas soumis à l’interdiction de paiement différé. On parle de contrats globaux avec financement public pour les opposer aux contrats globaux dont le financement privé est un élément constitutif, principalement, mais pas exclusivement, comme on le verra aussi : les marchés de partenariat.
2. Quels sont les contrats globaux avec financement public spécifiquement identifiés par l’ordonnance ?
L’ordonnance du 23 juillet 2015 vise expressément certaines formes de contrats globaux ne dérogeant pas à l’interdiction de paiement différé qu’elle désigne sous le vocable de «marchés publics globaux». Ils sont mentionnés en tant que tels par l’ordonnance, à la section 4 du titre II, et peuvent revêtir trois formes : marchés de conception-réalisation (article 33), marchés publics globaux de performance (article 34) et marchés publics globaux sectoriels (article 35).
Les marchés publics de conception-réalisation visés par l’article 33 ne sont ni nouveaux, ni d’une grande complexité en termes d’objet : il s’agit de marchés portant à la fois sur l’établissement d’études et l’exécution de travaux. Une distinction importante doit être faite entre ceux conclus par les acheteurs soumis à la loi n°85-704 du 12 juillet 1985 sur la maîtrise d’ouvrage publique (dite loi MOP), qui est maintenue, et les autres. Dans le premier cas – qui, pour simplifier, concerne l’État et ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, le secteur HLM, les organismes privés de sécurité sociale et leurs mandataires -, ces marchés ne peuvent pas être conclus librement. L’acheteur doit justifier de motifs d’ordre technique liés la destination ou à la mise en œuvre technique de l’ouvrage (ouvrage présentant un processus industriel est déterminant, des dimensions exceptionnelles, des difficultés techniques particulières). La jurisprudence a, dans le passé, fait une appréciation très stricte de ces motifs. L’acheteur pourra aussi faire valoir, lorsque le marché porte sur des ouvrages existants, et comme le prévoyait déjà le décret n°2011-1000 du 25 août 2011 modifiant le Code des marchés publics en application de la loi dite Grenelle II, «un engagement contractuel sur un niveau d’amélioration de l’efficacité énergétique». Dans le second cas – celui des acheteurs non soumis à la loi MOP – le recours à la conception-réalisation n’est pas conditionné.
Les marchés publics globaux de performance succèdent aux marchés dits «REM» (réalisation et exploitation ou maintenance) et «CREM» (conception-réalisation et exploitation ou maintenance), prévus par l’article 73 du Code des marchés publics. Comme eux, ils comportent obligatoirement un aspect portant sur la réalisation d’un investissement ou sur sa conception-réalisation. L’autre volet obligatoire du contrat est relatif à l’exploitation ou à la maintenance : le lien entre la réalisation de l’investissement et son exploitation/maintenance justifie la dérogation au principe d’allotissement. À cet égard, il est seulement exigé que ces marchés comportent des engagements de performance mesurables, pouvant notamment porter sur le niveau d’activité, la qualité du service, l’efficacité énergétique ou l’incidence écologique.
Ce nouveau régime présente – pour le moment – une différence importante par rapport aux CREM : il permet de déroger à la loi MOP – plus spécifiquement à la séparation de principe entre les fonctions de concepteur et de réalisateur – alors même que des motifs techniques ou d’amélioration de la performance énergétique ne seraient pas présents. Si le nouveau texte permet de déroger à la loi MOP, il existe des velléités de remettre en cause cette dérogation. Une première tentative a pu naître à l’occasion de l’examen, par l’Assemblée nationale, du projet de loi dite CAP (création, architecture et patrimoine). Elle n’aura finalement pas de suite, le texte définitif, publié au Journal officiel du 8 juillet 2016, insistant seulement sur l’identification de l’équipe de maîtrise d’œuvre et sur le périmètre de sa mission. Mais il subsiste encore un risque dans le projet de loi Sapin II. Un amendement visant à subordonner le recours aux contrats globaux de performance de type CREM à une «complexité technique», a en effet été introduit en première lecture à l’Assemblée nationale dans un esprit proche de ce qui existe en matière de conception-réalisation. Cette disposition a été supprimée par le Sénat, le 8 juillet 2016. La Commission mixte paritaire doit désormais élaborer un texte de compromis. La remise en cause du régime nouveau me semblerait peu opportune, compte tenu de l’équilibre trouvé dans le cadre de la réforme entre ce type de marchés globaux, à financement public, et les marchés de partenariat dont nous parlerons ensuite. Paradoxalement, il me semble que cela pourrait conduire à faire pencher artificiellement la balance en faveur du marché de partenariat.
Les marchés publics globaux sectoriels prévus par l’article 35 dérogent quant à eux de plein droit à la loi MOP et n’ont pas à comporter d’engagements de performance mesurables. Ce dispositif, qui reprend les différents textes dérogatoires accumulés au fil des ans, tout en réservant le cas d’autres dispositions législatives spéciales en cas d’oubli, vise une longue liste : immeubles affectés à la police nationale, à la gendarmerie, à certains services de la Défense, à la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, à des établissements pénitentiaires ou de santé, etc. Ces différents cas, venant en complément des marchés de conception-réalisation et des marchés globaux de performance, ouvrent des possibilités intéressantes de recours aux contrats globaux. Ils n’épuisent cependant pas l’ensemble des possibilités qui s’offrent aux acheteurs publics.
3. Y a-t-il d’autres marchés globaux à financement public ?
Oui, et eux aussi entrent dans le champ d’application de l’ordonnance. Deux autres hypothèses paraissent pouvoir être notamment mentionnées : les marchés publics globaux dérogeant à l’obligation d’allotir, non visés par les articles 33, 34 et 35 de l’ordonnance, et certaines ventes d’immeubles en l’état futur d’achèvement.
Les marchés publics globaux pour lesquels une dérogation à l’allotissement est admise
Un même marché peut, en principe, rassembler des missions diverses, de réalisation, exploitation ou maintenance. Mais cette liberté de principe doit être combinée avec l’obligation d’allotir, désormais prévue par l’article 32 de l’ordonnance, et généralisée à tous les acheteurs, publics ou privés. Ce principe d’allotissement comporte toutefois des exceptions, soit que l’objet du contrat ne permette pas l’identification de prestations distinctes, soit, notamment, et c’est la dérogation la plus exploitable que je présente ici, que l’acheteur puisse justifier que la dévolution en lots séparés risque de rendre techniquement difficile ou financièrement plus coûteuse l’exécution des prestations. Au titre de la première hypothèse – celle des prestations considérées comme non distinctes – à titre d’exemple, un marché concernant une prestation de services de sécurité liée à la réalisation de travaux d’installation et de fourniture de matériels anti-intrusion n’a pas à faire l’objet d’un allotissement, au motif qu’il y a une unité de la prestation (CE 18 juin 2010, req. n°335611, OPAC Habitat Marseille Provence). Comme pour les marchés publics sectoriels, il n’est pas nécessaire que des engagements de performance mesurables soient prévus. Une place, sans doute résiduelle mais réelle, existe donc pour de tels marchés publics globaux.
Les ventes en l’état futur d’achèvement (VEFA)
Dès lors que la nouvelle définition des marchés de travaux de l’article 5, I, de l’ordonnance ne fait plus référence à une condition de maîtrise d’ouvrage par l’acheteur, même s’il s’agit d’une personne publique, il est en principe possible qu’un marché de travaux soit une VEFA. Ce ne sera bien sûr pas toujours le cas, lorsque, notamment, l’acheteur ne fera que profiter d’une opportunité de marché. Il s’agira alors d’un contrat immobilier et non d’un marché public. Ce ne sera pas non plus le cas si l’acheteur est soumis à la loi MOP et que les conditions ne sont pas réunies pour qu’il puisse recourir à ce type de contrats (sur ces conditions : CE avis, 31 janvier 1995, n°35696). Il y a également lieu de noter que le décret d’application de l’ordonnance, du 25 mars 2016, prévoit en son article 30-I-3° un cas particulier de marchés sans publicité ni mise en concurrence en raison de l’existence d’un seul opérateur économique susceptible de répondre à la demande de l’acheteur, à savoir : «Lors de l’acquisition ou de la location d’une partie minoritaire et indissociable d’un immeuble à construire assortie de travaux répondant aux besoins de l’acheteur qui ne peuvent être réalisés par un autre opérateur économique que celui en charge des travaux de réalisation de la partie principale de l’immeuble à construire». Ce qui pourra correspondre notamment à la situation dans laquelle des personnes publiques acquièrent des locaux à construire (logements, crèches, stationnements…) inclus dans un programme privé. Le texte vise aussi les prises en location d’immeubles à construire. Cela concerne une autre hypothèse, celle des baux en l’état futur d’achèvement (BEFA), mais qui appartiennent à la catégorie des contrats globaux avec financement privé (puisque le propriétaire de l’ouvrage en finance la réalisation et que l’acheteur ne paie qu’un loyer).
4. Est-il donc exact de considérer que le marché de partenariat a absorbé l’ensemble des contrats globaux à financement privé ?
Non. L’ordonnance vise à rassembler les contrats globaux à (pré) financement privé et paiement public étalé – que l’on désigne usuellement sous la dénomination de partenariats public-privé (PPP) – dans un seul type de contrat : les marchés de partenariat. Ceux-ci doivent désormais couvrir les anciens montages domaniaux en PPP. Pour autant, il apparaît qu’aux côtés des marchés de partenariat visés par la deuxième partie de l’ordonnance (articles 66 et suivants), d’autres contrats globaux avec financement entrant dans le champ d’application général de ladite ordonnance subsistent.
5. Que deviennent les anciens PPP établis sur le fondement de montages domaniaux ?
L’ordonnance les supprime : il n’est en effet plus envisageable d’utiliser comme substituts aux contrats de commande publique les schémas «aller-retour» reposant sur un bail emphytéotique administratif (BEA) ou une autorisation d’occupation temporaire du domaine public (AOT) couplés à une convention de mise à disposition (CMD) ou une location avec option d’achat (LOA). L’article 101 de l’ordonnance modifie les dispositions du Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP), du Code général des collectivités territoriales et les autres textes en matière de PPP, notamment à caractère sectoriel, afin d’exclure que les BEA et AOT aient pour objet une commande publique (marché public, mais également concession). En cohérence, l’article 102 procède quant à lui à la suppression des baux emphytéotiques hospitaliers (BEH) et des AOT-LOA dans le domaine de la justice, de la police-gendarmerie et de la défense, en abrogeant les articles correspondants du Code de la santé publique et du CGPPP.
6. Quelles sont les conditions de recours au marché de partenariat ?
Compte tenu de la suppression des BEA-CMD et des AOT-LOA, l’objet des marchés de partenariat est redéfini, dans la perspective de couvrir tous les types de PPP. Selon l’article 67 de l’ordonnance, la mission susceptible d’être confiée au titulaire d’un marché de partenariat est une mission globale. Mais, alors que les contrats de partenariat de l’ordonnance du 17 juin 2004 reposaient sur un triptyque dont les composantes étaient obligatoires (réalisation de biens immobiliers ou mobiliers nécessaires au service public / financement en tout ou partie / et entretien ou maintenance ou exploitation ou gestion des biens), leurs successeurs, les marchés de partenariat, peuvent ne porter que sur la réalisation et le financement, total ou seulement partiel, d’un projet lié à un service public ou à une mission d’intérêt général. Il est possible d’adjoindre à cette mission de base des activités de conception d’ouvrage, d’exploitation-maintenance, mais aussi de gestion du service public. Cette dernière possibilité divisait auparavant la doctrine et la pratique.
L’utilisation du marché de partenariat est soumise à une double condition. En premier lieu, l’acheteur doit démontrer, dans le cadre de l’évaluation du mode de réalisation du projet, que le recours à un tel contrat présente «un bilan plus favorable, notamment sur le plan financier, que celui des autres modes de réalisation du projet» : c’est le critère dit du «bilan favorable», lequel, dans une formulation renouvelée, est le seul critère qui subsiste ; les critères de la complexité et de l’urgence disparaissent, compte tenu notamment de l’insécurité juridique qui leur était liée. En deuxième lieu, la valeur du marché de partenariat doit dépasser certains seuils. Cette logique de seuil me paraît en elle-même critiquable. Ces seuils ont toutefois été fixés à un niveau relativement raisonnable par le décret du 25 mars 2016.
Si le marché de partenariat offre l’avantage d’une certaine plasticité d’objet, dès lors que le financement en fait partie, il demeure contraint par des conditions d’accès restrictives. On peut donc légitimement s’attendre à ce que, lorsque d’autres contrats globaux avec financement soumis à l’ordonnance peuvent être utilisés, ils le soient par les acheteurs.
7. Quels sont ces autres marchés permettant un financement privé ?
Les marchés globaux des acheteurs non soumis à l’interdiction de paiement différé
Comme on l’a vu, les marchés globaux consacrés par la section 4 du titre II de l’ordonnance ne sauraient déroger à l’interdiction de paiement différé. Cependant, cette interdiction, prévue à l’article 60, I de l’ordonnance, ne concerne que certaines personnes publiques : l’État et ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs établissements publics. Les autres personnes publiques (groupements d’intérêt public, notamment) et la Caisse des dépôts et consignations (CDC), par dérogation expresse dans ce cas, ne sont pas concernées par cette interdiction. Il en va de même des acheteurs actuellement soumis à l’ordonnance du 6 juin 2005 qui sont des personnes morales de droit privé. Pour les personnes non visées (acheteurs privés et personnes publiques sui generis) ou exclues (la CDC), il paraît exister une véritable alternative aux marchés de partenariat puisqu’un marché global pourra comporter un paiement différé et que, dans ce cas, le paiement de la construction pourra se prolonger en phase d’exploitation-maintenance.
Les marchés sous forme de location
Outre les marchés globaux des personnes non soumises à l’interdiction de paiement différé, il convient également de tenir compte des différentes formules de marchés publics impliquant une location, celle-ci ne requérant pas un paiement différé, mais le paiement même de la prestation rendue.
Un premier cas, prévu expressément par les textes successifs en matière de marchés publics, l’illustre bien : c’est celui des contrats de location-vente ou de crédit-bail mobilier, auxquels peuvent parfois s’adjoindre des prestations de maintenance, qui demeurent des marchés publics de fournitures, comme le précise l’article 5, II, de l’ordonnance.
Cela pourrait concerner aussi les BEFA ou les contrats de crédit-bail immobilier, ce dernier type de contrats ne pouvant être en tout état de cause admis que pour des biens non destinés à intégrer le domaine public.
Par ailleurs, comme rappelé ci-avant, l’ordonnance a supprimé la possibilité de montages aller-retour reposant sur un BEA ou une AOT, ce qui laisse subsister les montages dans lesquels le BEA ou l’AOT ne sont pas le support d’un contrat de commande publique. Mais, cela signifie également que seuls les BEA et les AOT sont visés. Des montages aller-retour pourraient alors être envisagés par les acheteurs sur le fondement d’autres titres d’occupation, tels que les baux à construction et les baux emphytéotiques de droit privé. Sur les terrains qui sont la propriété de personnes morales de droit public soumises au CGPPP, une telle solution sera a priori limitée : elle ne paraît en effet pas envisageable lorsqu’il s’agit de réaliser un bien qui sera nécessaire au fonctionnement d’un service public. Elle pourrait cependant être utilisée dans le cas de bureaux, réputés appartenir au domaine privé, s’ils sont divisibles d’autres biens destinés quant à eux à appartenir au domaine public.
8. Finalement, un équilibre satisfaisant a-t-il été trouvé entre logique de rationalisation et possibilité de trouver des outils adaptés aux besoins des acheteurs publics ?
En l’état des textes adoptés, la réponse est à mon sens positive. Cela semble être un bon équilibre qui favorise la sécurité juridique.
On ne peut, à mon avis, qu’être rassurés par l’intégration des montages aller-retour dans une formule de marché de partenariat assumée et qui dispose d’un cadre juridique conforme non seulement au droit de l’Union européenne, mais également au droit constitutionnel. Certes, le recours aux marchés de partenariat suppose de se situer au-delà de certains seuils, mais ils sont raisonnables, compte tenu de leurs modalités de calcul. On dispose donc d’un outil utilisable, dès lors qu’il est notamment possible d’en démontrer l’intérêt pour certains projets. L’existence d’une «maîtrise d’ouvrage privée capitalisée», soumise à la discipline du financement de projet, peut s’avérer un atout précieux. Elle contribue notamment à assurer un lien fort entre les phases de conception-construction et d’exploitation/maintenance, compte tenu de l’engagement financier du secteur privé dans la durée.
Par ailleurs, là où le marché de partenariat n’est pas pertinent, mais aussi en dessous des seuils de recours à ces contrats, il est possible d’utiliser les marchés publics globaux, et notamment le marché public global de performance. Cela ouvre une large palette d’outils juridiques aux acheteurs, aux côtés, bien sûr, des outils traditionnels de la maîtrise d’ouvrage publique (concepteur et réalisateur séparés, allotissement).
La remise en cause de l’équilibre ainsi trouvé, notamment lors de la ratification de l’ordonnance dans le cadre de la loi Sapin II, serait, selon moi, fort regrettable.
Auteur
François Tenailleau, avocat associé en droit public des affaires
Les contrats globaux dans l’ordonnance marchés publics – Article paru dans BJCP Online du 29 Juin 2016Mise à jour le 12 juillet 2016.