De l’importance des projets concurrents en droit des concentrations
Le 17 février 2016, le Conseil d’Etat a rendu un arrêt confirmant en tous points la décision 14-DCC-164 du 13 novembre 2014 de l’Autorité de la concurrence (ADLC). Cette décision autorisait la prise de contrôle par le Groupe Carrefour de six centres commerciaux alors détenus par Unibail-Rodamco (CE, 17 février 2016, n°387586).
Le recours devant le Conseil d’Etat portait exclusivement sur l’analyse de l’Autorité concernant le centre commercial Bab 2 situé dans l’agglomération de Bayonne. A première lecture, il est vrai que la conclusion de l’Autorité pouvait surprendre puisque celle-ci affirmait que l’opération n’était pas de nature à porter atteinte à la concurrence alors même qu’elle avait commencé par annoncer que le Groupe Carrefour détiendrait, à l’issue de l’opération notifiée, entre 80 et 90% des surfaces de galeries disponibles dans l’agglomération de Bayonne. L’Autorité justifiait cette conclusion par la prise en compte de deux projets d’ouverture de centres commerciaux dans cette agglomération : d’une part, le centre Atzemondo détenu par Ikea et, d’autre part, le centre commercial Les Allées Shopping détenu par les sociétés Sodec et SCI Seignaux à l’origine du recours devant le Conseil d’Etat.
Les deux requérantes contestaient dans un premier temps l’analyse des effets concurrentiels horizontaux de l’opération. Selon elles, l’ADLC aurait dû tenir compte du projet d’extension concernant le centre Bab 2 et, à l’inverse, n’aurait pas dû retenir le projet Atzemondo. Argument plus surprenant, les requérantes reprochaient à l’ADLC de ne pas avoir pris en compte le projet d’ouverture de leur propre centre commercial Les Allées Shopping.
S’agissant du projet d’extension du centre commercial Bab 2, le Conseil d’Etat relève que l’autorisation délivrée par la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) faisant l’objet d’un recours, « ce projet n’était pas susceptible d’être achevé dans un délai suffisamment bref pour affecter la situation concurrentielle ». S’agissant ensuite de la prise en compte du projet du centre commercial Atzemondo, le Conseil d’Etat relève que si le projet fait actuellement l’objet d’une procédure devant le juge administratif à la suite de la décision négative de la CNAC concernant la modification des surfaces intérieures du centre, cette procédure n’est pas de nature à retarder significativement la date d’ouverture du centre commercial. Concernant enfin l’absence de prise en compte du projet Les Allées Shopping, le Conseil d’Etat fait remarquer aux requérantes que ce choix leur est favorable puisqu’il conduit à augmenter les parts de marché de Carrefour.
Pour finir sur les effets horizontaux, le Conseil d’Etat confirme l’analyse de l’ADLC selon laquelle, dans la mesure où le projet Atzemondo aura pour effet de faire perdre à Carrefour sa position de leader sur le marché de l’agglomération de Bayonne, l’opération en cause ne fait pas obstacle au maintien d’une concurrence suffisante sur ce marché.
Les requérantes soutenaient dans un second temps que l’opération conduisait à des effets anticoncurrentiels non horizontaux et plus précisément à un risque de verrouillage de l’accès aux centres commerciaux (il est intéressant de noter que cette analyse n’apparaît pas dans la décision de l’Autorité). Les requérantes faisaient tout d’abord valoir que Carrefour serait en mesure de dissuader les enseignes de s’installer dans d’autres centres commerciaux. Le Conseil d’Etat rejette cet argument sur le fondement d’un constat simple : sur les 25 enseignes commerciales qui ont annoncé ouvrir une boutique dans le centre commercial d’Atzemondo, 8 disposent d’une boutique dans le centre Bab 2. Ensuite, faute d’éléments convaincants dans le dossier, le Conseil d’Etat rejette d’une part l’argument selon lequel cette opération pourrait dissuader Auchan d’ouvrir un magasin dans le centre commercial Les Allées Shopping et, d’autre part, l’argument selon lequel, en raison de l’exploitation d’un hypermarché Carrefour dans le centre Atzemondo, Carrefour serait en mesure d’influer sur les choix du groupe Ikea, propriétaire de ce centre commercial.
En conclusion, on retient de cet arrêt qu’une position dominante de l’acquéreur ne conduit pas nécessairement à une situation anti-concurrentielle car il faut non seulement prendre en compte les projets de centres commerciaux concurrents dont l’ouverture est certaine et prévue dans un futur proche mais aussi démontrer en pratique les risques de verrouillage allégués.
Auteur
Marine Bonnier, avocat en droit de la concurrence et droit de la distribution.