Mobilité volontaire sécurisée, entre sécurité et incertitude
4 octobre 2013
De prime abord relativement simple, le dispositif de la mobilité volontaire sécurisée génère toutefois son lot d’incertitudes.
Imaginée par les auteurs de l’ANI du 11 janvier 2013, codifiée par la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, la mobilité volontaire sécurisée permet aux salariés d’exercer une activité dans une autre entreprise afin d’enrichir leur parcours professionnel, tout en ayant la garantie de retrouver un emploi chez leur employeur initial.
Des conditions d’ouverture relativement simples
Venant s’ajouter aux quatre congés de longue durée que sont le congé sabbatique, le congé pour création ou reprise d’entreprise, le congé de solidarité internationale et le congé individuel de formation, ce nouveau dispositif de « mobilité volontaire sécurisée » est ouvert aux salariés :
- employés par une entreprise d’au moins 300 salariés ou appartenant à un groupe d’au moins 300 salariés ;
- justifiant d’une ancienneté de plus de 24 mois, consécutifs ou non ;
- qui demandent à bénéficier d’un congé afin « d’exercer une activité dans une autre entreprise ».
Un dispositif à l’initiative du salarié pouvant présenter un intérêt réciproque
La mobilité volontaire sécurisée est, en principe, demandée par le salarié aspirant à une reconversion ou évolution professionnelle. L’ANI et la loi n’ont prévu aucun formalisme, aucune obligation de motivation, ni même aucun délai de prévenance s’agissant de cette demande.
L’employeur peut, quant à lui, librement refuser sans avoir à motiver sa position, sous réserve du principe de non-discrimination. Deux refus consécutifs de l’employeur offrent au salarié un accès de plein droit, non pas au dispositif de mobilité volontaire sécurisée, mais à un congé individuel de formation (sauf si l’absence du salarié a des conséquences préjudiciables à la production ou la marche de l’entreprise).
Ce dispositif, bien que conçu au profit des salariés, pourrait le cas échéant permettre aux entreprises une gestion temporaire des sureffectifs, voire même être utilisé comme un dispositif de Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences au sein des groupes. Toutefois, certains parlementaires se sont émus, lors des débats, des risques de détournement d’un dispositif initialement mis en place dans l’intérêt et au profit des salariés.
Un avenant au contrat de travail organisant la période de mobilité volontaire sécurisée
En cas d’accord entre le salarié et l’employeur, un avenant au contrat de travail organisant la mobilité volontaire sécurisée doit être établi.
L’article L. 1222-13 du code du travail prévoit que l’avenant détermine :
- l’objet, la durée, la date de prise d’effet et le terme de la période de mobilité ;
- le délai dans lequel le salarié informe par écrit l’employeur de son choix éventuel de ne pas réintégrer l’entreprise ;
- les situations et les modalités d’un retour anticipé du salarié.
On constate ainsi que la loi n’a prévu aucune durée minimale ou maximale s’agissant de mobilité volontaire sécurisée : il s’agit d’un élément laissé à la négociation des parties.
Toutes les clauses relatives au retour du salarié (ou à l’inverse à sa décision de ne pas réintégrer l’entreprise) devront être particulièrement soignées et prévoir un délai de prévenance suffisant afin de permettre à l’entreprise de ne pas demeurer dans l’incertitude et de s’organiser.
Pour des questions pratiques et afin d’éviter toute revendication ultérieure, d’autres thèmes devront, selon nous, être traités pas l’avenant, tels que notamment le calcul de l’ancienneté, la gestion des droits à congés-payés acquis.
Un salarié « en sécurité » pendant la période de mobilité
Au cours de la période de mobilité volontaire sécurisée, le contrat de travail initial du salarié est suspendu (L. 1222-12 du code du travail) et il exerce une activité professionnelle au sein d’une autre entreprise.
En cas de rupture du contrat de travail conclu avec l’entreprise d’accueil avant la fin de la période de mobilité, il peut en principe réintégrer son ancien poste dans les conditions prévues par l’avenant à son contrat de travail.
Dans l’hypothèse où, involontairement privé de son nouvel emploi, le salarié ne pourrait réintégrer son ancienne entreprise de manière anticipée, il pourra être pris en charge par l’assurance chômage (nouvel article 6 bis du règlement générale annexé à la convention du 6 mai 2011 relative à l’indemnisation du chômage).
La grande oubliée du dispositif : l’entreprise d’accueil
Ni l’ANI du 11 janvier 2013, ni la loi du 14 juin 2013 ne traitent de la question de l’entreprise d’accueil et de la nature des relations qui seront établies entre elle et le salarié en période de mobilité volontaire sécurisée.
Faute de dispositions légales particulières, le contrat de travail conclu entre ce salarié et l’entreprise d’accueil sera un contrat de travail de droit commun, c’est-à-dire :
- un contrat à durée déterminée, si l’entreprise est en mesure de justifier d’un des motifs de recours légaux (surcroit temporaire d’activité, remplacement, etc.).
- ou un contrat à durée indéterminée.
L’entreprise d’accueil pourrait ainsi embaucher dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée un salarié qui n’a pas nécessairement l’intention de demeurer dans l’entreprise à long terme. D’ailleurs, rien, si ce n’est le principe de bonne foi, n’oblige le salarié à informer son nouvel employeur de sa situation de salarié en mobilité volontaire sécurisée.
La gestion délicate de la fin de la période de mobilité volontaire sécurisée
A l’issue de la période de mobilité volontaire sécurisée, deux hypothèses peuvent se présenter :
- le salarié choisit de ne pas réintégrer son entreprise initiale : il doit informer son employeur par écrit de son choix dans les délais prévus par l’avenant. La loi prévoit qu’il est considéré alors comme « démissionnaire ». Qu’en est-il lorsque le salarié n’informe pas son employeur de sa décision de ne pas réintégrer l’entreprise mais qu’il ne se présente pas à son poste à l’issue de la période de mobilité volontaire sécurisée ? Est-il, de ce seul fait, considéré comme « démissionnaire » ? Il semble difficile de considérer que ce comportement constitue une volonté « claire et non-équivoque » de démissionner. L’entreprise pourrait donc être contrainte d’initier une procédure de licenciement pour abandon de poste.
- le salarié choisit de réintégrer son entreprise initiale : l’article L. 1222-14 du code du travail prévoit que le salarié retrouve « son précédent emploi ou un emploi similaire, assorti d’une qualification et d’une rémunération au moins équivalentes ainsi que du maintien à titre personnel de sa classification ». La mise en œuvre de cette disposition sera, à n’en pas douter, une importante source de différends, notamment en cas de longue période de mobilité. L’entreprise et les emplois pourraient en effet avoir notablement évolués en l’absence du salarié et l’on sait qu’employeur et salarié n’ont souvent pas la même vision de la notion d’« emploi similaire ».
Pour limiter les difficultés, le retour du salarié devra être préparé en amont. Il apparait à cet égard utile de prévoir dans l’avenant au contrat de travail relatif à la mobilité volontaire sécurisée l’obligation pour le salarié d’informer son employeur initial suffisamment à l’avance, non seulement de son choix de ne pas réintégrer l’entreprise comme le prévoit la loi, mais également de sa décision de la réintégrer.
S’agissant de l’entreprise d’accueil, la décision du salarié de réintégrer son entreprise d’origine devrait, en principe, le conduire à démissionner du contrat de travail qui le lie à l’entreprise « d’accueil ». Toutefois, cette démission n’est envisageable qu’en cas de contrat à durée indéterminée. En outre, à défaut d’une démission claire et non-équivoque, la société d’accueil n’aura vraisemblablement d’autre choix que de licencier le salarié en contrat à durée indéterminée pour abandon de poste.
A propos des auteurs
Nicolas de Sevin, avocat associé. Il intervient tant dans le domaine du conseil que du contentieux collectif. Son expertise contentieuse concerne principalement : les restructurations : transfert des contrats de travail, mise en cause des conventions collectives …,les PSE/PDV, contentieux du licenciement collectif, le droit des comités d’entreprise, les expertises (CE/CHSCT, …), le contentieux électoral, la négociation collective, le droit syndical, l’aménagement du temps de travail (accord 35 heures, récupération, …), les discriminations, le droit pénal du travail : entrave, marchandage, CDD/intérim et les conflits collectifs.
Emilie Bourguignon, avocat en droit social
Article paru dans Les Echos Business du 2 octobre 2013
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