Saisie pénale d’un bien dont le prévenu a la libre disposition : du nécessaire respect du droit de propriété
La multiplication, ces dernières années, des poursuites du chef de blanchiment conduit à revenir ici sur des dispositions parfois méconnues, mais de plus en plus fréquemment utilisées par les autorités de poursuite, d’instruction et de jugement afin d’assurer l’effectivité de la répression de ce délit lorsque la personne poursuivie a mis en œuvre des techniques d’ingénierie juridique (prête-nom, société écran…) visant à faire échapper aux poursuites des biens dont elle est, en pratique, le véritable propriétaire.
La loi n°2012-409 du 27 mars 2012 a, en effet, étendu la peine de confiscation de patrimoine applicable à certaines infractions limitativement énumérées par la loi et portant sur tout ou partie des biens appartenant au condamné – quelle qu’en soit la nature, mobiliers ou immobiliers, divis ou indivis – à ceux dont celui-ci a uniquement «la libre disposition», sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi1.
L’exécution d’une telle peine de confiscation est garantie par la possibilité offerte aux autorités d’ordonner, tant dans le cadre d’une enquête préliminaire ou de flagrance que dans celui d’une information judiciaire, la saisie de tous les biens susceptibles d’être confisqués à terme, en cela compris ceux dont la personne poursuivie ne serait pas le propriétaire juridique mais dont elle aurait seulement la «la libre disposition»2.
Or, la «libre disposition» est une notion imprécise, que l’atteinte susceptible d’être portée au droit de propriété du tiers de bonne foi nécessite d’apprécier de manière restrictive. L’impératif d’une répression toujours plus efficace risque toutefois de justifier, en pratique, une application indûment extensive de cette notion.
En effet, l’application des dispositions susvisées nécessite de rechercher, derrière l’apparence, l’identité du véritable titulaire du droit de disposer de la chose.
L’analyse de la jurisprudence révèle à cet égard que, si certaines situations semblent s’apparenter à des cas d’école justifiant pleinement que soit ordonnée la saisie ou la confiscation sur le fondement de «la libre disposition» des biens par la personne mise en cause, d’autres situations sont moins évidentes et laissent un large pouvoir d’appréciation au juge qui relèvera l’existence d’un faisceau d’indices de nature à caractériser cette «la libre disposition».
La jurisprudence considère ainsi, dans l’hypothèse de l’interposition d’une société-écran, que la personne poursuivie a la libre disposition des biens dont la société est propriétaire lorsqu’elle a le pouvoir, en pratique, de prendre des actes de disposition pour le compte de cette société. Si un tel pouvoir a pu être caractérisé de manière évidente lorsque la personne poursuivie détenait la totalité ou la quasi-totalité des titres de cette société3, cette caractérisation peut en revanche être débattue lorsqu’elle est établie à partir d’un faisceau d’indices de nature à démontrer une confusion d’intérêts entre la société et la personne poursuivie (cette dernière faisant, par exemple, fonctionner les comptes bancaires de la société ayant financé l’acquisition du bien litigieux…)4.
Si elle constitue un outil efficace pour permettre l’application pleine et effective de la loi pénale, la possibilité offerte aux autorités de saisir des biens dont la personne poursuivie n’a que la libre disposition n’apparaît donc pas sans risque au regard de l’atteinte susceptible d’être portée au droit de propriété du tiers de bonne foi, droit consacré par les normes conventionnelles et constitutionnelles. La plus grande précaution dans l’application du texte s’impose donc, la logique répressive ne pouvant tout justifier.
La loi organise ainsi la protection des droits du propriétaire de bonne foi : (i) au stade des saisies, d’abord, par le recours qui lui est réservé à l’encontre de l’ordonnance de saisie pénale5 ; (ii) au stade de la confiscation, ensuite, le tiers ayant la faculté d’intervenir au procès pénal afin de s’opposer à la confiscation et, le cas échéant, de solliciter la mainlevée de la saisie de biens dont il est le propriétaire de bonne foi6.
Nul doute, au vu de l’imprécision de la notion de «libre disposition» et de l’utilisation croissante des saisies et confiscations de patrimoine, qu’un contentieux florissant continuera de se développer sur le sujet. Il est probable que la CEDH aura elle-même, un jour, à en connaître.
Notes
1 Article 131-21 alinéa 6 du Code pénal.
2 Articles 706-141 à 706-152 du Code de procédure pénale.
3 Cass. crim., 23 mai 2013, pourvoi n°12-87.476 ; 4 cass. crim., 29 janvier 2014, pourvois n°13-80.062 et n°13-80.063.
4 Cass. crim., 19 novembre, 2014, pourvois n°13-88.331 et n°13-88.332 ; cass. crim.8 janvier 2014, n°12-87.463.
5 Article 706-148 du Code de procédure pénale.
6 Article 479 du Code de procédure pénale ; cass.crim., 15 janvier 2014, pourvoi n°13-81.874.
Auteurs
Olivier Kuhn, avocat associé, Contentieux & arbitrage
Anne Renard, avocat, Contentieux & arbitrage