Le risque d’immixtion des créanciers bancaires dans les financements d’acquisition
Prêter, c’est prendre un pari contrôlé sur l’avenir d’un emprunteur. Il est ainsi habituel pour les établissements de crédits prêteurs de demander à leurs débiteurs des informations sur leurs situations et de les obliger, par diverses stipulations, à faire ou ne pas faire certaines actions, afin que la situation financière de l’emprunteur ne s’écarte pas du scénario initialement considéré par les prêteurs.
Dans les opérations de financements d’acquisition, l’importance de ce scénario et de son respect est encore plus grande pour les prêteurs que dans des financements corporate. Les créanciers bancaires sont alors plus légitimes, mais dans certaines proportions, à vouloir contrôler la manière dont la société emprunteuse gère son activité. Par exemple, les prêteurs bénéficient souvent de droits d’information plus étendus, comprenant la remise régulière de rapports précis sur l’activité ou les actifs.
Les conventions de crédits contiennent également de multiples clauses limitant l’investissement, les croissances externes, les cessions d’actifs, l’endettement, etc. Ces clauses sont convenues afin de permettre la réalisation du business plan proposé par l’emprunteur, tout en tenant compte des capacités de remboursement des sociétés concernées. Enfin, certains dispositifs permettant de s’assurer que l’ensemble de ces stipulations sera respecté sont parfois mis en place. Ainsi, les créanciers bancaires peuvent exiger l’insertion, dans les statuts de l’emprunteur, de stipulations limitant les pouvoirs des dirigeants ou des actionnaires ou la nomination d’administrateurs devant défendre les intérêts des créanciers bancaires.
L’ampleur de ces contraintes dépend du rapport de force entre prêteurs et emprunteurs mais doit également tenir compte de diverses contraintes juridiques et, notamment, du risque de voir la responsabilité du créancier bancaire engagée lorsque ce contrôle est excessif.
L’un des aspects de ce risque est la reconnaissance de la gestion de fait, pouvant conduire à rendre les créanciers responsables des pertes subies par les tiers du fait de la gestion d’une entreprise. En l’absence de définition légale, la Cour de cassation a présenté la gestion de fait comme «l’exercice en toute indépendance d’une activité positive de direction et de gestion d’une société»1, avec pour objectif de sanctionner toute personne qui agit comme si elle était dirigeant d’une société sans en avoir la qualité. Le créancier bancaire peut ainsi être considéré comme un dirigeant de fait, comme la Cour de cassation a déjà pu, dans des cas très spécifiques et isolés, le reconnaître2. En pratique, la qualification de dirigeant de fait est rarement reconnue aux prêteurs. Si la documentation de crédit prévoit de nombreuses contraintes, celles-ci sont décidées par les parties lors de la mise en place de l’opération, en fonction du business plan de l’entreprise. Sur cette base, les prêteurs agissent plus comme des censeurs du débiteur mais sans être en position de décider de manière active des actes de chaque entreprise concernée. La situation peut cependant apparaître comme étant plus complexe lorsque la société doit faire face à des difficultés et doit négocier avec ses créanciers des aménagements : la tentation et les risques sont alors grands pour les établissements de crédit de se comporter en véritable décideur de la manière dont l’entreprise doit être conduite.
La gestion de fait trouve écho dans la notion «d’immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur» visée à l’article L. 650-1 du Code de commerce. Cet article prévoit que, lorsqu’une procédure collective est ouverte, les créanciers ne peuvent pas être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf, notamment, en cas d’immixtion caractérisée. Cette notion ne fait pas l’objet d’une définition légale ou jurisprudentielle mais les travaux parlementaires citent la situation dans laquelle «le créancier acquiert la qualité de dirigeant de fait en participant activement à la gestion du débiteur et en prenant seul des décisions importantes en ses lieu et place»3.
Notes
1 Cass. Com., 27 juin 2006, n° 04-51.831 : Dr sociétés, comm. 160 ; Cass. Com., 22 janvier 2002, n° 98-21.181, Troscia c/ Foray, Moreno : Juris-Data n° 2002-013865 ; Dr. Sociétés 2002, comm.135, obs J-P Legros.
2 Cass. Com., 27 juin 2006, n° 04-15.831 : JurisData n° 2006-034269.
3 Rapport du Sénat fait sur le projet de loi de sauvegarde des entreprises, par M. Jean-Jacques Hyest, n° 335,
Auteurs
Grégory Benteux, avocat associé, spécialisé dans les opérations de financements structurés et de titrisation, tant domestiques qu’internationales, portant sur tout type d’actifs
Alexandre Chazot, avocat en droit bancaire et financier