Amendement Carrez : la non-déductibilité fiscale des intérêts, conséquence de l’immixtion
De façon classique, un fonds d’investissement étranger procédant à l’acquisition d’une société cible en France structure cette acquisition en créant une holding française qui s’endettera. Des représentants du fonds sont alors nommés représentants de cette holding. Jusqu’à une époque relativement récente, il était tout aussi classique que les décisions relatives à la gestion de la cible soient prises depuis l’étranger.
Dorénavant, dans une telle situation de structuration, l’article 209 IX du Code général des impôts, plus communément appelé «amendement Carrez», empêche la déduction des intérêts afférents à la dette d’acquisition. Point important : la limitation s’applique même lorsque la société cible est française.
Pour échapper à la réintégration des intérêts, la loi prévoit que la holding doit être en mesure de démontrer qu’elle exerce un pouvoir de décision et, le cas échéant, un contrôle effectif sur la cible. En d’autres termes, elle doit constituer un «centre de décision autonome». Si cette autonomie n’est pas forcément exigée au moment de l’acquisition des titres pour les véhicules de capital-investissement, ces véhicules ne disposent d’aucune dérogation s’agissant de la démonstration de la participation effective au processus de décision de la cible. La holding doit donc être en mesure de démontrer que ses représentants participent aux assemblées d’actionnaires de la cible, qu’ils sont bien membres des organes de direction de celle-ci et qu’il existe une politique stratégique qui est propre à cette holding. C’est à ce stade qu’il importe de cantonner l’immixtion du fonds étranger dans la gestion de la cible française pour ne pas tomber dans le champ d’application de l’amendement Carrez.
Dans la mesure où l’administration fiscale regarde avec beaucoup de suspicion (et souvent à tort) les holdings «passives», il peut être envisagé de «remonter» dans la holding certaines fonctions (direction financière, direction juridique, etc.). Une fois que la holding a été dotée d’une certaine substance, il ne s’agit pas, à notre avis, de faire vivre cette holding en parfaite autarcie sans aucun contrôle du fonds étranger. L’absence d’immixtion signifie seulement que le fonds ne doit pas décider de tout au quotidien. Il doit en revanche jouer pleinement son rôle d’actionnaire.
Ainsi, il est tout à fait normal de retrouver des représentants du fonds au sein des instances dirigeantes de la holding. Ceci étant, ces représentants doivent exercer leur fonction en toute indépendance. L’existence de règles de gouvernance formalisées obligeant ces personnes à exercer leurs fonctions en se conformant à des directives du fonds étranger, pourrait caractériser une immixtion du fonds. De même, il est normal qu’un reporting s’exerce au profit du fonds. Là encore, ce reporting, qui vise concrètement à transmettre des informations, rapports et bilans analytiques sur l’activité de la cible, ne fait que matérialiser les prérogatives d’actionnaires du fonds.
S’agissant de la stratégie, la holding doit apparaître comme une force de proposition, même si, pour les décisions importantes (refinancement, opérations de croissance externe, cessions d’actifs ou de filiales, etc.), il nous semble normal que le fonds étranger dispose de prérogatives renforcées.
Enfin, la démonstration du contrôle doit, aux termes de la loi, être fournie à l’Administration à sa demande lors d’un contrôle. La doctrine administrative prévoit la transmission d’une documentation dans les deux ans de l’acquisition. Quand bien même l’établissement d’une documentation a priori n’est pas une obligation légale, l’expérience montre que les conseils des acquéreurs demandent désormais la présentation de la documentation «Carrez» lors des audits d’acquisition. On ne saurait donc que trop recommander la préparation de cette documentation à la suite de l’acquisition, quand les mémoires sont encore fraîches sur l’organisation du processus décisionnel.
Auteurs
Thierry Granier, avocat associé, en fiscalité internationale
Benoît Foucher, avocat en matière de fiscalité internationale