Sous-traitance : Les risques juridiques encourus par le maître d’ouvrage
A l’occasion du 40ème anniversaire de la loi sur la sous-traitance du 31 décembre 1975, il est paru intéressant à l’auteur de faire le point sur l’une de ses dispositions qui affecte le plus les maîtres d’ouvrage, à savoir à l’article 14-1 de ladite loi.
Cette disposition met à la charge du Maître d’ouvrage une obligation de s’assurer que les règles de la sous-traitance sont respectées sur son chantier. A défaut, il engage sa responsabilité vis-à-vis des sous-traitants dont le préjudice réside généralement dans le fait de n’avoir pas été payé par l’entreprise générale défaillante.
Après avoir rappelé le contenu de l’article 14-1 et le contexte de sous-traitance qu’il suppose, nous examinerons :
- les conditions dans lesquelles la responsabilité du maître d’ouvrage peut être recherchée,
- si un maître d’ouvrage respecte la loi de 1975 en se bornant à mettre en demeure l’entreprise principale de fournir une caution,
- si le maître d’ouvrage doit veiller à l’efficacité de sa mise en demeure,
- la portée de sa responsabilité qu’encourt le maître d’ouvrage,
- le sort des travaux supplémentaires réalisés par le sous-traitant ; le maître d’ouvrage qui ne les a pas commandés doit-il les payer ?
- les recours dont dispose le maître d’ouvrage en cas de condamnation à indemniser un sous-traitant,
- et, enfin, en cas de sous-traitance de second rang, si la responsabilité du maître d’ouvrage est-elle la même.
L’article 14-1 de la loi de 1975 stipule que :
«Pour les contrats de travaux de bâtiment et de travaux publics :
– le maître de l’ouvrage doit, s’il a connaissance de la présence sur le chantier d’un sous-traitant n’ayant pas fait l’objet des obligations définies à l’article 3 ou à l’article 6, ainsi que celles définies à l’article 5, mettre l’entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s’acquitter de ces obligations ;
– si le sous-traitant accepté, et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l’ouvrage dans les conditions définies par décret en Conseil d’Etat, ne bénéficie pas de la délégation de paiement, le maître de l’ouvrage doit exiger de l’entrepreneur principal qu’il justifie avoir fourni la caution.»
Cet article de la loi de 1975 implique au premier chef une relation de sous-traitance comprenant les trois étages habituels : maître d’ouvrage / entreprise principale / sous-traitant.
On rappellera à ce sujet la définition rappelée par l’article 1er de la loi du 31 décembre 1975 (reprise par exemple dans Cass civ 3ème 14.04.2010, 09-12.339)
«Au sens de la présente loi, la sous-traitance est l’opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l’exécution de tout ou partie du contrat d’entreprise ou d’une partie du marché public conclu avec le maître de l’ouvrage.»
La sous-traitance nécessite donc deux contrats d’entreprise, l’un ayant pour objet l’exécution de tout ou partie de l’autre.
Dès lors que le premier contrat liant le maître d’ouvrage à l’entreprise principale ou le second contrat liant l’entreprise principale au sous-traitant n’est pas un contrat de louage d’ouvrage, il n’y aura pas une situation de sous-traitance et l’article 14-1 ne sera pas applicable.
L’article 14-1 de la loi de 1975 permet de rechercher la responsabilité du maître d’ouvrage lorsque celui-ci ne s’assure pas que les dispositions protectrices du sous-traitant édictées par la loi de 1975 sont respectées sur son chantier et en particulier que l’entreprise principale satisfait bien à ses obligations.
Ce qui génère la responsabilité du maître d’ouvrage sur le fondement de l’article 14-1 de la loi de 1975 est le fait qu’il ne mette pas en demeure l’entreprise principale de satisfaire à ses obligations qui sont les suivantes :
- faire agréer le sous-traitant (article 3 de la loi de 1975) :
«L’entrepreneur qui entend exécuter un contrat ou un marché en recourant à un ou plusieurs sous-traitants doit, au moment de la conclusion et pendant toute la durée du contrat ou du marché, faire accepter chaque sous-traitant et agréer les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance par le maître de l’ouvrage ; l’entrepreneur principal est tenu de communiquer le ou les contrats de sous-traitance au maître de l’ouvrage lorsque celui-ci en fait la demande.» - fournir une garantie de paiement (article 14 de la loi de 1975) :
«A peine de nullité du sous-traité, les paiements de toutes les sommes dues par l’entrepreneur au sous-traitant, en application de ce sous-traité, sont garantis par une caution personnelle et solidaire obtenue par l’entrepreneur d’un établissement qualifié, agréé dans des conditions fixées par décret. Cependant, la caution n’aura pas lieu d’être fournie si l’entrepreneur délègue le maître de l’ouvrage au sous-traitant dans les termes de l’article 1275 du code civil, à concurrence du montant des prestations exécutées par le sous-traitant.»
La responsabilité du maître d’ouvrage ne pourra être recherchée que s’il est défaillant à faire respecter ces obligations par l’entreprise principale.
Dans quelles conditions la responsabilité du maître d’ouvrage peut-elle être recherchée sur le fondement de l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975.
D’abord, le texte pose que :
«le maître de l’ouvrage doit, s’il a connaissance de la présence sur le chantier d’un sous-traitant n’ayant pas fait l’objet des obligations …».
Le maître d’ouvrage doit donc avoir connaissance de la présence d’un sous-traitant sur le chantier.
La preuve de cette connaissance peut être rapportée par tous moyens :
- les comptes rendus de chantier (24.05.2011, 10-17008),
- les circonstances particulières du dossier (2.11.2011, 10-20223),
- à l’occasion de l’exercice de l’action directe par le sous-traitant (22.06.2011, 10-18573),
- voire à l’occasion d’une expertise judiciaire (7.07.2015, 14.20353), bien postérieure à la terminaison du chantier…
L’article 14-1 a même été appliqué pour condamner un maître d’ouvrage à l’égard de sous-traitants qui n’interviennent en aucune façon sur le chantier, qu’il soit bureau d’étude (11.09.2013, 12-21077) ou économiste (CA Aix-en-Provence, 20.11.2008) !
Le maître d’ouvrage doit donc avoir connaissance «de la présence sur le chantier d’un sous-traitant n’ayant pas fait l’objet des obligations …».
Il est constant que le maître d’ouvrage doit connaître la présence du sous-traitant qui recherche sa responsabilité ; le fait que la sous-traitance soit prévue ou qu’elle ne pouvait être évitée compte tenu de la faiblesse des moyens de l’entreprise principale est inopérant et insuffisant à rechercher la responsabilité du maître d’ouvrage.
Toujours aux termes de l’article 14-1 de la loi de 1975 :
«le maître de l’ouvrage doit, s’il a connaissance de la présence sur le chantier d’un sous-traitant n’ayant pas fait l’objet des obligations définies […] mettre l’entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s’acquitter de ces obligations».
L’objet de la mise en demeure doit respecter et se conformer aux deux hypothèses envisagées par l’article 14-1 de la loi de 1975.
Si le maître d’ouvrage est en présence d’un sous-traitant non accepté ou dont les conditions de paiement n’ont pas été agréées, il doit mettre en demeure l’entreprise principale de faire accepter le sous-traitant ou de faire agréer ses conditions de paiement.
Si, au contraire, le maître d’ouvrage est en présence d’un sous-traitant qui a été agréé, il doit mettre en demeure l’entreprise principale de fournir une garantie de paiement.
C’est sur le contenu de la mise en demeure que la Cour de Cassation a cassé un arrêt de Cour d’Appel par un arrêt du 9 mai 2012 (20-27079) :
«Attendu que pour condamner la SCI à payer une indemnité à la société Proseco, l’arrêt retient que la SCI, en sa qualité de maître d’ouvrage, n’a pas mis en demeure l’entrepreneur principal de fournir une caution bancaire à son sous-traitant;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la SCI n’avait pas accepté la société Proseco en qualité de sous-traitant et que l’obligation de mettre en demeure l’entrepreneur principal de fournir une caution bancaire n’est prévue qu’en cas d’acceptation du sous-traitant, la cour d’appel a violé le texte susvisé».
Un maître d’ouvrage respecte-t-il la loi de 1975 en se bornant à mettre en demeure l’entreprise principale de fournir une caution?
La Cour de Cassation a répondu par la négative à cette interrogation dans un arrêt du 8 septembre 2010 (09-68724) par lequel elle a jugé que l’obligation du maître d’ouvrage est :
«d’exiger de l’entrepreneur principal qu’il justifie avoir fourni une caution, et que cette obligation inclut la vérification de l’obtention par l’entrepreneur de cette caution ainsi que la communication au sous-traitant de l’identité de l’organisme de caution et des termes de cet engagement».
Précédemment, un arrêt de la 3ème chambre civile de la Cour de Cassation rendu le 18 juin 2003 (01-17366) avait déjà précisé ce que comportait l’obligation pour le maître d’ouvrage d’exiger de l’entrepreneur principal qu’il justifie avoir fourni la caution et avait retenu la responsabilité du maître d’ouvrage, en l’espèce un office d’HLM, pour ne pas s’être assuré que le sous-traitant avait eu connaissance des clauses particulières de l’engagement souscrit par la banque !
Toujours au sujet de la garantie de paiement, un arrêt du 12 juin 2013 (12-21317) retient que :
«Qu’en statuant ainsi, alors que le maître de l’ouvrage qui ne demande pas à l’entrepreneur principal de justifier la fourniture d’une caution, doit s’assurer que celui-ci a accepté la délégation de paiement au profit du sous-traitant, la cour d’appel a violé le texte susvisé».
Généralement, c’est l’acceptation par le maître d’ouvrage de la délégation qui fait difficulté.
Dans cet arrêt, la Cour de Cassation précise que l’entreprise principale est supposée devoir accepter la délégation de paiement, ce qui sous-entend que le maître d’ouvrage ne peut imposer celle-ci à l’entreprise principale.
Inversement, la question se pose de savoir si l’entreprise principale pourrait imposer au maître d’ouvrage une délégation de paiement et donc imposer à celui-ci de payer directement ses sous-traitants, ce qui peut être source de complication pour le maître d’ouvrage.
En effet, l’article 14 de la loi de 1975 rappelle que la caution n’aura pas lieu d’être fournie si l’entrepreneur délègue le maître d’ouvrage au sous-traitant dans les termes de l’article 1275 du Code civil.
L’emploi de l’indicatif («délègue») laisse penser que l’entreprise principale est souveraine dans le pouvoir de déléguer le maître d’ouvrage au sous-traitant et donc dans la possibilité d’imposer une telle délégation au maître d’ouvrage.
La question n’est pas neutre puisque l’on sait que les cautions bancaires souscrites auprès d’organisme financier sont sources de frais financiers qui pourraient donc ainsi être évités en imposant au maître d’ouvrage une délégation de paiement au profit du sous-traitant.
Toujours au sujet de la mise en demeure, signalons un arrêt du 15 mai 2013 (12-16343) qui rappelle la nécessité d’une mise en demeure formelle et que le maître d’ouvrage ne peut se contenter de demander oralement à l’entreprise principale de respecter ses obligations.
Il doit lui adresser une mise en demeure écrite et ce même s’il a obtenu satisfaction à la suite d’une demande orale !
Le maître d’ouvrage doit-il veiller à l’efficacité de sa mise en demeure?
Plusieurs arrêts répondent positivement à cette question.
Dans un arrêt du 8 septembre 2010 (09-68724), la Cour de Cassation a jugé que :
«la cour d’appel, qui n’a pas relevé les moyens mis en œuvre par le maître de l’ouvrage pour contraindre l’entrepreneur principal à respecter ses obligations en matière de sous-traitance, n’a pas donné de base légale à sa décision de ce chef».
Dans un autre arrêt du 21 novembre 2012 (11-25101), publié au bulletin celui-ci, la Cour a ainsi statué :
«Attendu que pour débouter le [sous-traitant] de sa demande en paiement de dommages-intérêts, l’arrêt retient que le [maître d’ouvrage] a mis en demeure l’[entreprise principale] de fournir un cautionnement bancaire à son sous-traitant et conditionné l’agrément du paiement direct à cette justification, qu’elle en a avisé le [sous-traitant] elle-même, qu’en cessant ses règlements au profit de l’[entreprise principale], pour des montants conséquents, il apparaît que le maître de l’ouvrage a pris, à l’encontre de l’entrepreneur principal, les mesures coercitives suffisantes pour le respect des obligations légales et qu’il ne peut lui être reproché aucun manquement à l’obligation de l’article 14-1 de la Loi du 31 décembre 1975, de nature à avoir fait perdre au [sous-traitant] une chance de paiement ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’il appartient au maître de l’ouvrage de veiller à l’efficacité des mesures qu’il met en œuvre pour satisfaire aux obligations mises à sa charge par l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, la cour d’appel a violé les textes susvisés».
Pour autant, le maître d’ouvrage n’a pas à exiger l’exclusion du sous-traitant.
C’est ce qu’il résulte de deux arrêts récents de la 3ème chambre civile de la Cour de Cassation, des 16 juin et 8 juillet 2015, mais non publiés au Bulletin ceux-ci.
Dans l’arrêt du 16 juin 2015 (14-12564) la Cour retient que :
«ayant relevé que la société Giraud avait sollicité l’agrément de la société Profil méditerranée en qualité de sous-traitant, que la société Hortus lui avait demandé de préciser le montant du marché sous-traité, et que faute de réponse, elle avait expressément refusé l’intervention de la société Profil méditerranée sur son chantier en tant que sous-traitant par lettre recommandée avec accusé de réception, la cour d’appel a pu déduire de ces seuls motifs que la société Hortus, qui n’était pas tenue d’exiger l’exclusion du chantier du personnel de l’entreprise sous-traitante, n’avait commis aucune faute».
Dans l’arrêt du 8 juillet 2015 (12-22641), la Cour de Cassation approuve l’arrêt de la Cour d’Appel qui avait retenu qu’ :
«Il ne peut être fait grief au maître de l’ouvrage – qui avait respecté ses obligations légales en mettant, par le courrier du 25 mars 2008, régulièrement (et vainement) en demeure l’entreprise générale de fournir justification de la caution bancaire prévue à l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 et qui n’avait pas à s’immiscer dans les relations contractuelles entre l’entrepreneur principal et son sous-traitant – d’avoir laissé le chantier se poursuivre en la présence du sous-traitant non agréé».
Bien que l’article 14-1 de la loi de 1975 évoque la possibilité de mettre en demeure le sous-traitant, le maître d’ouvrage sera toujours seul fautif de la situation, à l’exclusion du sous-traitant.
Après avoir rappelé dans un arrêt du 10 janvier 2001 (99-12836) que «la loi du 31 décembre 1975 ne crée aucune obligation [à l’égard du sous-traitant] dont la violation aurait constitué une faute», la 3ème chambre de la Cour de Cassation a affirmé dans un arrêt du 3 avril 2013 (12-16795), cassant un arrêt de Cour d’Appel ayant retenu la faute d’imprudence du sous-traitant ayant concouru à la survenance de son préjudice en acceptant de démarrer les travaux sans délégation de paiement ni caution que, de tels motifs étaient impropres à caractériser la faute du sous-traitant dans la survenance de son propre dommage «alors que la loi du 31 décembre 1975 n’impose au sous-traitant aucune diligence particulière à l’égard de l’entrepreneur principal ou du maître d’ouvrage».
Une fois la faute du maître d’ouvrage établie, quelle est la portée de sa responsabilité ?
Pour répondre à cette question, il faut distinguer les deux hypothèses de l’article 14-1 de la loi de 1975.
Dans le cas où le sous-traitant n’est pas agréé, la responsabilité du maître d’ouvrage sera limitée à ce qui reste dû par celui-ci à l’entreprise principale au jour de la connaissance du sous-traitant sur le chantier.
Cela est clairement rappelé dans un arrêt de la 3ème chambre civile de la Cour de Cassation du 17 juin 2015 (14-20051) :
«Attendu que pour condamner le [maître d’ouvrage] à payer certaines sommes, l’arrêt retient qu’en ne mettant pas en demeure l’entrepreneur principal de s’acquitter de ses obligations, le maître de l’ouvrage a commis une faute engageant sa responsabilité quasi délictuelle à l’égard de M. Y…, faute en relation de causalité directe avec le préjudice subi par le sous-traitant du fait du défaut de paiement de sa facture par l’entreprise principale;
Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, quel était le montant restant dû à l’entrepreneur principal à la date à laquelle le maître d’ouvrage avait eu connaissance de la présence du sous-traitant, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision».
Cette solution s’explique par le fait que, dans cette hypothèse, la faute du maître d’ouvrage fait perdre au sous-traitant non agréé la possibilité de se faire agréer et, comme tel, de pouvoir bénéficier de l’action directe réservée aux seuls sous-traitants agréés mais dont le plafond est ce que reste devoir le maître de l’ouvrage à l’entreprise principale.
Un arrêt (non publié au Bulletin) du 7 avril 2016 (3ème Chambre, pourvoi n°15-12926) pourrait laisser penser à une solution différente puisque, dans cette espèce, en réponse au pourvoi qui prétendait que le maître de l’ouvrage ayant omis de mettre en demeure l’entrepreneur principal de faire accepter un sous-traitant dont il a eu connaissance de l’intervention, n’est tenu d’indemniser ce sous-traitant que dans la limite des sommes dont lui-même demeurait redevable envers l’entrepreneur principal, à la date où il a appris qu’il intervenait sur le chantier, la Cour de cassation répond :
«Mais attendu qu’ayant constaté que, le 18 janvier 2010, la SCI avait été informée par la société Placéo de sa présence sur le chantier pour réaliser le dallage de la construction commandé à la société ENR et lui avait répondu qu’elle était financièrement engagée quant à l’exécution des travaux, relevé que la SCI ne pouvait ignorer à cette date que la société ENR faisait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire et qu’elle aurait dû faire preuve de vigilance pour assurer le paiement de ce sous-traitant et retenu qu’elle avait commis une faute à l’égard de la société Placéo, la cour d’appel qui a déduit, de ces seuls motifs, qu’elle lui ouvrait droit à l’indemnisation du préjudice résultant de l’impossibilité d’obtenir le paiement de ses travaux, a légalement justifié sa décision ;»
L’explication de cette apparente contradiction réside probablement dans le fait que la Maître d’ouvrage avait eu connaissance «dès l’origine» du sous-traitant, c’est-à-dire à une époque où le Maître d’ouvrage, bien qu’il soutint l’inverse, n’avait pas intégralement payé l’entreprise principale.
En revanche, dans le cas où le sous-traitant a été agréé, la faute du maître d’ouvrage prive le sous-traitant de la possibilité d’obtenir une garantie de paiement de ses travaux, généralement sous la forme d’une caution.
Dans ce cas, la faute du maître d’ouvrage conduit à l’indemnisation du sous-traitant pour la partie impayée de ses travaux, quelle que soit la somme que reste devoir ou non le maître d’ouvrage à l’entreprise principale au jour de la connaissance du sous-traitant.
Quid des travaux supplémentaires réalisés par le sous-traitant ; le maître d’ouvrage qui ne les a pas commandés doit-il les payer ?
Encore une fois, cela dépend de la connaissance qu’a le maître d’ouvrage de ces travaux supplémentaires ou non.
Cette solution traditionnelle de la Cour de Cassation dégagée notamment dans ses arrêts des 31 octobre 2001 (99-13095) à propos de travaux supplémentaires et le 12 juin 2002 (00-21553) à propos de travaux complémentaires a été réaffirmée dans un arrêt récent du 10 mars 2015 (13-28052) par lequel la Cour casse un arrêt de Cour d’Appel :
«sans rechercher si la lettre du 8 juillet 2008 adressée par la société Beaufour à la société Faure à la suite d’une demande de la société Hervé Thermique, ne démontrait pas que la société Beaufour avait connaissance, à cette date, de la commande par la société Faure de travaux supplémentaires exécutés par la société Hervé Thermique pour lesquels cette dernière ne bénéficiait pas d’une délégation de paiement ou d’une caution».
Une fois condamné, le maître d’ouvrage peut-il être relevé et garanti ?
La jurisprudence donne plusieurs illustrations d’une telle garantie.
Ainsi, la Cour d’Appel de ROUEN, dans un arrêt du 13 juin 2007 (05/311), a condamné un maître d’ouvrage délégué à relever et garantir le maître d’ouvrage des condamnations prononcées sur le fondement de l’article 14-1 de la loi de 1975.
Dans un arrêt du 26 mars 2014 (13-10538), la 3ème chambre civile de la Cour de Cassation a également approuvé la condamnation de l’assureur de responsabilité civile du promoteur à relever et garantir le maître d’ouvrage des condamnations sur le fondement de l’article 14-1 de la loi de 1975 et ce sur le fait que de telles condamnations n’étaient pas exclues de la garantie souscrites auprès de l’assureur.
Plus classiquement, se pose la question de la garantie du maître d’œuvre d’exécution qui, plus que le maître d’ouvrage, est à même de détecter la présence d’un sous-traitant sur le chantier.
Dans un arrêt du 12 mars 2008 (07-13651), la Cour de Cassation avait estimé que le devoir de conseil du maître d’œuvre ne lui faisait pas obligation d’informer le maître d’ouvrage des conséquences du défaut d’agrément du sous-traitant et il a été retenu que celui-ci avait satisfait à ses obligations en signalant la présence d’un sous-traitant non-agréé sur le chantier.
Dans un arrêt plus récent du 10 décembre 2014 (13-24892), la Cour de Cassation a approuvé un arrêt de Cour d’Appel d’avoir exactement retenu que le maître d’œuvre chargé d’une mission de surveillance des travaux avait pour obligation d’informer le maître de l’ouvrage de la présence d’un sous-traitant et de lui conseiller de se le faire présenter et, le cas échéant de l’agréer et de définir les modalités de règlement de ses situations.
♦ ♦ ♦ ♦
L’examen de la jurisprudence montre donc que l’article 14-1 de la loi sur la sous-traitance – qui y a été introduit par une loi postérieure du 6 janvier 1986 – est appliqué avec une grande rigueur à l’encontre des maîtres d’ouvrage qui doivent aujourd’hui avoir le réflexe de faire respecter la loi sur la sous-traitance dès qu’ils ont connaissance du non-respect de celle-ci par l’entreprise principale.
On notera à ce sujet que la norme AFNOR NF P03-001 prévoit comme une des rares causes de résiliation de plein droit du marché de l’entreprise celle de la sous-traitance irrégulière.
Enfin, en cas de sous-traitance de second rang, la responsabilité du maître d’ouvrage est-elle la même?
Sur ce point, l’article 2 de la loi de 1975 prévoit que : «Le sous-traitant est considéré comme entrepreneur principal à l’égard de ses propres sous-traitants».
Cela signifie que le sous-traitant de 1er rang a les mêmes obligations que l’entreprise principale vis-à-vis de ses sous-traitants (agrément, garantie de paiement).
En revanche, les obligations du maître d’ouvrage ne descendent pas sur la tête de l’entreprise principale qui ne se substitue donc pas au maître d’ouvrage vis-à-vis des sous-traitants de second rang.
Cela résulte de l’arrêt du 5 septembre 2015 de la 3ème chambre de la Cour de Cassation (13-26781) qui a jugé que :
«en statuant ainsi alors que l’article 14-1 ne crée d’obligations qu’à l’égard du maître de l’ouvrage, la cour d’appel a violé le texte susvisé».
Si la loi ne crée d’obligations qu’à l’égard du maître de l’ouvrage, il revient à ce maître d’ouvrage de prévoir contractuellement, dans son contrat avec l’entreprise principale, que celle-ci devra remplir ses obligations de maître d’ouvrage vis à vis des sous-traitants de second rang.
Certes, cette disposition contractuelle ne permettra pas à un maître d’ouvrage défaillant d’échapper à sa responsabilité vis à vis du sous-traitant de second rang mais lui permettra, dans ce cas, de rechercher la garantie de l’entreprise principale, pour autant que celle-ci soit encore in bonis.
Auteur
Jean-Guillaume Monin, avocat associé en droit immobilier & construction, CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon
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